Billet invité.
L’issue du bras de fer qui se poursuit en Grèce reste toujours incertaine et l’indécision semble appelée à durer les deux prochaines semaines. « Nous cherchons un compromis honnête avec nos partenaires. Mais ne vous attendez pas à ce que nous signions une reddition sans condition. C’est pourquoi nous sommes attaqués sans pitié, mais c’est la raison pour laquelle la société nous soutient », a déclaré lundi dernier Alexis Tsipras devant le Parlement.
Il a précisé : « notre priorité est le renforcement de l’économie réelle avec des investissements qui vont tonifier la croissance avec la participation du secteur public », et qu’il était « crucial que les recettes provenant de l’utilisation de la propriété publique ne soient pas jetées dans un gouffre sans fond pour le remboursement de la dette, mais placées là où le pays en a besoin, la sécurité sociale, la croissance ». Il a aussi rappelé qu’un second round de négociations devait s’ouvrir à propos de la dette, qui représente 177 % du PIB et dont « le remboursement sera impossible », et qui devra selon lui s’inscrire dans le cadre d’un « nouveau contrat de développement ».
Tous les prétextes sont bons pour les dirigeants européens pour repousser les propositions de réforme du gouvernement grec. Leur évaluation est « très complexe » pour Donald Tusk, le président du Conseil de l’Europe ; elles sont floues et ne représentent pas un projet, pour un haut fonctionnaire bruxellois qui s’est réfugié dans l’anonymat ; et « elles ne représentent pas une base de discussion convenable » pour Martin Jäger, le porte-parole du ministère allemand des finances.
En réalité, il est exigé des dirigeants grecs qu’ils franchissent la « ligne rouge » qu’ils ont tracée et adoptent des mesures « récessionnistes » portant sur les salaires, les licenciements, les retraites, ainsi que sur l’accélération des privatisations, car il n’y a que cela de vrai ! Mais, tout en cherchant à faire assumer celles-ci par le gouvernement grec, les dirigeants européens et leur bras armé de l’Euro working group ne souhaitent pas apparaître comme faisant de leur absence un casus belli. Comme l’a revendiqué en pure perte Alexis Tsirpas, les négociations sont éminemment politiques, mais ses adversaires préfèrent se réfugier derrière des discussions « techniques » et avancer masqués.
Pour tenter de clarifier les enjeux et démentir la présentation qui en est faite ainsi que le dénigrement de sa position qui se poursuit, le gouvernement grec a organisé la fuite vendredi dernier dans la presse grecque d’informations détaillées sur les mesures qu’il propose, assortie de leur chiffrage. Elles devraient prévisionnellement aboutir en 2015 à une croissance de 1,4 % et à un excédent budgétaire primaire de 1,5 %. Dans une tentative de renvoyer la balle à l’autre camp, le gouvernement grec a depuis envoyé aujourd’hui une nouvelle liste développée des mesures qu’il propose de prendre, sous la forme d’un document de 26 pages rendu public dans son intégralité par le Financial Times. Ne franchissant pas sa ligne rouge, il assouplit ses positions sur les privatisations et place les autorités européennes devant leurs responsabilités en pratiquant un nouvel épisode de diplomatie ouverte.
L’affrontement qui se poursuit porte sur la nature du levier à adopter pour relancer l’économie – diminution du coût du travail ou développement de l’investissement – renvoyant à un débat larvé qui parcourt toute l’Europe. Sauf si une rupture intervient, il va se prolonger par un second affrontement à propos de la gestion de la dette publique, à résonance européenne également. La crise grecque est l’occasion de faire émerger les deux problèmes de fond avec lesquels on n’en a pas fini et qui ne se sont pas propres à l’Europe.
L’Espagne et le Portugal sont abusivement présentés comme étant sorties d’affaire, mais il faut y regarder de plus près. Observer que les équipes au pouvoir sont face à des échéances électorales et lèvent le pied sur les mesures d’austérité, ce qui donne un peu d’air. Regarder ensuite de plus près les données présentées pour le justifier, notamment celles du chômage ou de reprise de la croissance, pour voir ce qu’elles dissimulent.
En Espagne, le niveau du chômage reste considérable et sa légère diminution résulte d’une importante émigration ainsi que de la création d’emplois temporaires ou à temps partiel. Le retour à la croissance résulte quant à lui plus de la consommation des ménages que de l’exportation grâce à la diminution du coût du travail. Le paradoxe est facile à évacuer : les Espagnols tirent sur leur épargne et bénéficient de facilités accrues de crédit auprès de banques, qui se financent à des conditions avantageuses auprès de la BCE, comme le succès de la dernière vague de son programme LTRO l’a montré.
Depuis Lisbonne, le commissaire européen Pierre Moscovici n’a pas tari d’éloges hier à propos des « efforts extraordinaires » accomplis par le gouvernement portugais, tout en affirmant qu’il « faut en faire encore plus ». Il a effet reconnu dans le cas du Portugal que « la reprise est fragile », et que si la dette publique est « viable », elle est « très élevée ». En 2014, elle a encore progressé pour dépasser les 130 % du PIB. Le chômage a de son côté repris sa progression, selon Eurostat. La Grèce n’est donc pas le seul exemple d’une faillite de la stratégie européenne, qui est simplement moins éclatante dans le cas de l’Espagne et du Portugal. Mais dans toutes ses dimensions la crise européenne n’est pas près de se résorber, quelle que soit l’issue de l’affrontement qui se poursuit en Grèce.
Les statistiques d’Eurostat constatent la poursuite de la déflation en zone euro. Signe des temps, des commentaires apparaissent pour opérer un distinguo entre la bonne et la mauvaise déflation, réfutant ainsi le danger qu’elle représente. Le débat peut vite tourner à la scolastique sur les avantages et les périls comparés de l’inflation et de la déflation, si l’on n’en considère pas les conséquences. Faut-il pour le reconnaître lui relier la menace que représente la déflation à la perspective de la croissance sans emplois et à la stagnation séculaire qui nous sont promises ? Peut-on s’autoriser à résumer les discussions sur ce qui nous attend à un affrontement entre ceux qui, dans leur fort intérieur, ont la conviction que tout va finir par redevenir comme avant, et ceux qui perçoivent que nous sommes entrés dans une nouvelle période toute à la fois durable et instable du capitalisme ?