Billet invité.
Encore une louche de déstabilisation financière ?
Cela n’est pas nouveau et a déjà été diagnostiqué depuis des années : la détention de la dette publique par les banques de la zone euro augmente la corrélation entre risque souverain et risque bancaire, fragilisant à la fois les États et le système bancaire. Mais que cette fragilité demeure et se soit même accentuée n’est pas clamé sur les toits. Il est préféré se féliciter de la stabilité du marché pour en profiter, sans s’interroger sur le paradoxe que représentent des taux obligataires si bas – passés en dessous de 2% pour les titres espagnols et italiens à dix ans – au sein d’une telle situation d’incertitude et de risque. Que représentent ces taux, si ce n’est l’expression même de l’anormalité de la situation ?
Comme les données de l’Autorité bancaire européenne le montrent, les achats de la dette souveraine nationale ont fortement progressé depuis septembre 2011, comparés à décembre 2013. Non seulement en Espagne et en Italie, mais également en France. Dans ce dernier cas, les progressions sont éloquentes : +40 milliards d’euros pour le BPCE, +25 milliards pour le Crédit Agricole et +15 milliards pour la Société Générale.
Accroître cette détention renforce le danger au lieu de l’éloigner, car elle rend les banques vulnérables à une hausse des taux. Celle-ci est inévitable, quand bien même la Fed – qui fait le marché en raison de la prééminence du dollar et de son effet d’entraînement – n’est pas encore parvenue pas à trancher en sa faveur, en raison d’impératifs contradictoires. Quand elle interviendra, cette hausse aura pour conséquence une baisse de la valeur des titres souverains et occasionnera de sérieux dégâts dans les comptes des banques. Par ricochet, toutes promesses oubliées, les finances publiques seront alors mises à contribution une nouvelle fois, l’ersatz d’union bancaire ne faisant pas le poids.
Pour quelles raisons n’en est-il pas tenu compte ? En premier lieu, parce que ces achats bancaires de titres souverains sont de profitables opérations de carry-trade, les banques s’approvisionnant à coût quasi nul auprès de la BCE et bénéficiant de rendements assurés et considérés sans risques : fort des rumeurs qui s’accentuent, elles prennent pour acquis que la BCE leur achètera prochainement leurs titres. Dans cette attente, ces achats permettent de faire coup double, améliorant également les ratios de fonds propres des banques, s’ils interviennent en substitution d’autres actifs en face desquels des fonds propres sont règlementairement nécessaires (ce qui n’est pas le cas des titres souverains, officiellement réputés sans risque). Voilà qui explique pour une bonne mesure la diminution du crédit bancaire.
Cette forte détention met en cause la qualité des derniers stress tests des banques, les scénarios utilisés excluant toute décote des titres souverains pour ne pas révéler une fragilité qu’il faut au contraire masquer. Ne cherchons pas plus loin, voilà qui explique mieux encore que la rigueur des tenants de « l’ordolibéralisme » pourquoi la dette doit être à tout prix remboursée…
Mais si les taux venaient à se cabrer…
P.S : deux informations, dans la foulée de précédents billets.
La Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) réclame que soient revus « des recalibrages dangereux pour l’économie réelle » dans Solvency 2, leur nouveau cadre réglementaire européen. Le ministre Michel Sapin, qui déjà bataille ferme pour réduire le plus possible la taxe sur les transactions financières, a fait part de sa compréhension, étant donné le rôle des assureurs dans le financement de l’économie…
Une agence du Trésor américain, le Bureau de la recherche financière (OFR), constate pour s’en alarmer que « plusieurs menaces pour la stabilité financière se sont renforcées au cours de l’année passée », en référence aux prises de risque « excessives » sur les marchés et aux faibles taux d’intérêt de la Fed.