Billet invité.
Sigmar Gabriel, le ministre allemand de l’économie, le confirme : la croissance de l’économie allemande continue de fléchir. Il l’attribue aux conséquences du conflit en Ukraine, après avoir incriminé l’hiver la fois d’avant. De son côté, Mario Draghi constate que « la reprise en zone euro perd de l’allure », comme si elle en avait. Les deux phénomènes ne seraient-ils pas étroitement liés par hasard ?
Aveuglement présenté comme l’exemple à suivre, le modèle de l’Allemagne s’effrite. Deux économistes allemands publient coup sur coup des ouvrages dont la traduction française de leurs titres dit tout : Olaf Gersemann, le chef du service économique de Die Welt, signe « La bulle Allemagne : le chant du cygne d’une grande nation économique » et Marcel Fratzscher en fait autant de « Allemagne, l’illusion : pourquoi nous surestimons notre économie et les besoins de l’Europe ».
Un retour en arrière s’impose : un modèle est toujours nécessaire à l’appui de la politique du moment afin de la rendre irréfutable. Quitte à vite l’oublier par la suite quand la démonstration n’est pas celle dont l’on se prévalait : dans cette longue série, rappelons-nous les miracles espagnols et irlandais et la déroute qui s’en est suivie… La vulgate économique reposerait-elle à ce point sur deux fragiles piliers, les miracles dont il est fait des modèles, et les cycles économiques grâce auxquels tout – c’est promis – va rentrer dans l’ordre ? Les professionnels de la politique croient-ils vraiment à ce qu’ils racontent ? Si c’est oui, c’est affligeant. C’est consternant si c’est non !
En tout cas, la démonstration de nos auteurs ne va pas dans le sens de ceux qui voient dans les Lois Hartz de réforme du marché du travail l’exemple à suivre, après avoir institué dans les années 2003 à 2005 une précarité grandissante du travail, un durcissement des conditions d’indemnisation du chômage et au bout du compte un accroissement des inégalités et de la pauvreté. De manière très documentée, ils constatent la détérioration impressionnante des infrastructures en Allemagne, ainsi que le sous-investissement chronique qui y règne, tant public que privé. Le premier est la conséquence des efforts de réduction du déficit budgétaire, et le second de l’anticipation par les entreprises de la faiblesse de la demande. Voilà qui éclaire le débat européen actuel à propos de l’investissement, et en démontre l’inanité tel qu’il est posé : les autorités allemandes privilégient l’investissement privé au détriment du public, mais ni l’un ni l’autre ne sont plus à leurs niveaux antérieurs dans leur propre pays…
On doit constater, peut-on ajouter, que les conditions favorables dont l’Allemagne a bénéficié pour sortir de sa précédente crise de 2009 n’existent plus. Au contraire, son économie reposant sur les exportations devient son point faible dans un contexte mêlant une concurrence commerciale accrue en provenance des pays émergents, y compris sur ses points forts de l’industrie automobile et de la machine outil, et un net ralentissement de la croissance économique et de la demande des nouvelles classes moyennes, sans compter les effets sur le premier marché allemand de la politique d’austérité européenne. Pour prédire le déclin annoncé de l’Allemagne, les deux auteurs font aussi référence à la lourde tendance démographique allant diminuer la population active et à la politique gouvernementale en faveur de l’immigration. Mais c’est pour constater qu’elle ne pourra pas combler le déficit prévisionnel de main-d’œuvre annoncé.
Dans l’immédiat, l’évolution du taux d’inflation de la zone euro est attendue pour mardi prochain, et les analystes s’attendent à 0,3 %. Si le modèle allemand fait défaut, quel exemple va-t-il être trouvé pour justifier la politique poursuivie ? La mauvaise plaisanterie du redressement de la Grèce et de l’Espagne ? « Dire que le médicament est efficace parce que le taux de chômage a diminué de deux points de pourcentage, ou parce que l’on peut apercevoir une lueur de maigre croissance, s’apparente à l’assurance donnée par un docteur médiéval qu’une saignée fait son effet parce que le patient n’est pas encore mort. », écrit Joseph Stiglitz dans son dernier réquisitoire.