Billet invité.
Fukushima est un désastre loin d’être totalement exploré, le suivi à rebondissements du chantier de la centrale dévastée de Fukushima n’épuisant pas le sujet, il s’en faut. Ainsi, la volonté gouvernementale de relance du parc des 48 réacteurs nucléaires à l’arrêt a suscité hier à Tokyo une manifestation de 16.000 protestataires opposés au redémarrage des deux réacteurs de la centrale de Sendai, suite à l’autorisation finalement accordée par l’Autorité de régulation nucléaire, laissant peu de doute sur l’hostilité générale de l’opinion publique à un tel projet.
Mais un autre angle ne peut être ignoré : celui du sort réservé à tous les Japonais déplacés en raison de la catastrophe. A cet égard, la contribution de Cécile Asanuma-Brice doit être signalée. Résidente au Japon depuis 2001, cette chercheuse en géographie urbaine du Clersé (une unité commune à l’Université de Lille I et au CNRS), fait assurément partie de ces lanceuses d’alerte qui veillent au bien commun. Dans son article, les étapes successives de la gestion gouvernementale des réfugiés sont passées en revue. D’abord installés dans des logements provisoires, construits y compris dans des zones contaminées ou imparfaitement décontaminées, ces 140.000 Japonais (chiffre officiel probablement en dessous de la vérité) ont été incités à s’adapter à un environnement devenu contaminé et aux contraintes qui en résultent. Une stratégie de communication a été parallèlement déployée en direction de l’opinion publique, afin de normaliser ce qui ne devrait pas l’être, et de banaliser ainsi la relance du parc nucléaire.
De savantes études ont fait appel à la notion de résilience – utilisée par les environnementalistes et biologistes pour mesurer la capacité d’un écosystème, d’une espèce ou d’un groupe d’individus à récupérer un fonctionnement normal après avoir subi une perturbation – avec pour objectif de montrer dans ce cas de figure son importance. Ainsi que le souligne Cécile Asanuma-Brice, d’autres concepts ont trouvé leur raison d’être au service de la même cause, tel celui de dose collective d’exposition aux radiations, pourtant très controversé car donnant lieu à des extrapolations abusives. Comme elle le souligne sous forme de conclusion à ses observations, « la gestion du risque relève d’une équation attribuant une valeur économique à la vie humaine, le calcul du coût de sa protection permettant de déterminer la rentabilité ou non de la mise en place de cette protection ».
Mais est-il nécessaire d’aller si loin et de se référer à des situations aussi dramatiques pour rencontrer dans une actualité proche d’autres comportements tout aussi déroutants ? Qui a déclaré début du mois, afin de calmer les ardeurs d’agriculteurs exigeant « qu’on les laisse produire », « nous travaillerons à une adaptation de cette directive nitrates dont l’approche normative a clairement montré ses limites », voulant signifier mais sans le dire qu’il fallait assouplir les normes européennes destinées à contenir la pollution de l’eau par les engrais azotés ? Il s’agit du premier ministre français, dont l’attitude ne dépare pas – dans sa démarche – de celle de ces organismes officiels qui ont modifié au Japon les normes acceptables d’exposition prolongée à faible dose aux rayonnements ionisants, sans s’appuyer pour le permettre sur des études épidémiologiques – qui d’ailleurs n’existent pas – dans des domaines où les débats se poursuivent entre scientifiques pour savoir si les méthodes d’évaluation par extrapolation du risque de cancer partant de niveaux d’expositions plus élevés sont ou non fondées.
Quand la réglementation fait obstacle à ses desseins, rien n’est plus simple : il suffit de la modifier ! Condamné par la Cour européenne de Justice, le gouvernement français aurait l’intention, selon des propos formulés dans l’entourage du premier ministre et reproduits par l’AFP, « de conduire des études scientifiques et de trouver des alliances pour faire évoluer la directive ». On ne saurait mieux dire.