Billet invité
Les polémiques ne manquent pas à propos de l’anéantissement des 298 passagers et membres d’équipage du vol MH 17, la principale étant sur qui en porte la responsabilité. Les autorités russes ont opposé leur version aux accusations des Américains et des Ukrainiens, mais ne rien ne garantit qu’une enquête aux contours encore indéfinis permettra d’établir les faits, surtout si elle se limite à la scène du crime, alors que des données radar – qui doivent probablement exister vu la totalité des moyens de détection déployés – pourraient seules prouver la localisation du tir du missile.
Pavé dans la mare, Alexandre Khodakovski, le commandant du « bataillon Vostok », qui n’est pas n’importe qui, a reconnu mercredi dans une déclaration à l’agence Reuters que les séparatistes possédaient des missiles antiaériens Buk, précisant que ceux qui avaient été pris à l’armée ukrainienne n’étaient pas opérationnels. Il a attribué la responsabilité du tir aux Ukrainiens, car « ils savaient que le missile serait déployé là [vers Snejnoïe où il dirigeait] et ils ont provoqué le tir de ce Buk en lançant une attaque aérienne sur un objectif sans importance que leurs avions avaient ignoré pendant une semaine. » Il a ajouté : « Je savais qu’un Buk était venu de Louhansk. On m’avait alors dit que ce Buk était envoyé par la ‘République populaire de Louhansk’», une région tenue par les insurgés. « J’étais au courant de la présence de cette batterie de Buk. On m’en avait parlé. Je pense qu’elle a ensuite été renvoyée là d’où elle venait (…) afin d’effacer les preuves de sa présence. »
Anticipant de nouvelles révélations qu’il semble redouter, le ministère russe des Affaires étrangères a dénoncé « une sorte de travail secret » et une falsification des données du contrôle aérien ukrainien qui serait en cours. Mais rien ne filtre de décisif en provenance ni des services américains, ni de ceux des autres pays surveillant de près l’espace aérien de cette région, dont les Français avec leur navire espion en Mer Noire. Apportant de nouveaux éléments, les membres des services américains se sont réfugiés dans l’anonymat afin de ne pas donner un caractère officiel à leur propos. Ils visent à démontrer qu’un système de missile aurait bien été rapatrié des territoires contrôlés par les séparatistes vers Rostov, en Russie, d’où partirait selon eux une aide aux séparatistes en matériel et artillerie lourde allant en s’accentuant. Autres éléments apportés au dossier : des photographies du fuselage de l’avion publiées par le New York Times montrent des impacts ne pouvant avoir été causé, selon un expert de Jane’s Information Group interrogé, que par un missile sol-air (et non pas air-air, en référence à la présence hypothétique d’un Sukhoi ukrainien à distance de tir du Boeing révélée par les autorités russes) ; la découverte sur le site du crash que son cockpit avait été scié et qu’une partie avait disparu, amenant à s’interroger sur l’élément que l’on a très précisément cherché à cacher.
Mais le vice-ministre russe de la Défense peut aujourd’hui réclamer des preuves de la localisation du tir dans la région contrôlée par les séparatistes, celles-ci n’étant toujours pas fournies, l’examen en cours des boîtes noires de l’appareil n’ayant aucune chance d’être fructueux à ce sujet. Est-ce à dire que bien que ces preuves existent, une décision aurait été prise que ces preuves ne soient pas produites ? De privilégier une solution diplomatique, comme l’a annoncé Barack Obama, afin d’obtenir que Vladimir Poutine retire son appui aux séparatistes ? Si cela devait être le cas, cela signifierait que le président américain se serait rallié au point de vue d’Européens emmenés par Angela Merkel qui ont d’importants intérêts économiques à préserver, comme l’affaire de la vente des bateaux de guerre français l’illustre. Les termes choisis pour la résolution du Conseil de sécurité, afin qu’elle soit adoptée par les Russes, tendraient à l’accréditer : « destruction de l’appareil » a remplacé « tir » qui était proposé dans la rédaction australienne initiale et suggérait un tir de missile. « Nous restons prêts à aider à la désescalade de la situation avec des mesures politiques et diplomatiques », a aussi déclaré mardi dernier le ministre des affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, comme s’il s’agissait là de l’objectif dont tout le reste devait dépendre.
En fait de désescalade, c’est à une intensification des combats que l’on assiste en ce moment dans l’Est de l’Ukraine. Ils se concentrent dans la région bordant la frontière russo-ukrainienne, par laquelle transiteraient les équipements militaires russes. Deux chasseurs Sukhoï ukrainiens ont été abattus hier, dans des conditions conduisant à s’interroger : ils volaient selon les autorités ukrainiennes à 5.200 mètres, une altitude qui les mettrait hors de portée des missiles dont disposent les séparatistes, selon les dires de ceux-ci. Qui a tiré et avec quels moyens ? Depuis, ces mêmes autorités ont supposé que l’un des appareils a été abattu par un missile air-air, or les séparatistes ne disposent pas de force aérienne.
Depuis son démarrage, la guerre qui se mène en Crimée et dans l’Est de l’Ukraine est qualifiée par les experts militaires de « guerre hybride » pour souligner qu’elle est menée masquée en alignant des soldats sans uniforme, s’appuyant sur des représailles économiques, des mesures d’intimidation politique et des campagnes de propagande à grande échelle. Une nature qui prend à contrepied les autorités militaires et conduit les politiques à engager des sanctions à reculons, qui ne sont pas suivies des effets espérés. En dépit de déclarations apaisantes depuis que le vol MH 17 a été abattu, Vladimir Poutine n’a toujours pas donné de signe tangible de désescalade, comme s’il n’avait aucun moyen d’influence sur les séparatistes ou ne voulait pas les exercer, hypothèse plus probable.
En passant un accord avec lui, Angela Merkel n’a-t-elle pas fait un pari dont l’enjeu consiste à échanger le silence sur les circonstances du tir de missile contre des discussions politiques aboutissant à ce que les armes se taisent ? Si c’est le cas comme il est vraisemblable, elle a conclu un marché de dupes. Les informations en provenance d’Allemagne ce matin faisaient état d’un durcissement de la position allemande, qui va se traduire par une intensifications des sanctions à l’encontre de la Russie. Car cette guerre est de moins en moins hybride et fait de plus en plus appel à des équipements dont les séparatistes ne disposent pas et que les autorités russes leur fournissent, entrainement compris si l’on en croit les services américains.
Jusqu’où les sanctions pourraient-elles aller, afin d’atteindre ce que que les chefs d’État avaient intitulé la « phase 3 » ? Une décision n’est attendue que mardi prochain, l’unanimité des 28 membres de l’union européenne étant requise. Quinze nouveaux noms de Russes et d’Ukrainiens ont été ajoutés dans l’immédiat à la liste des 70 à qui il est d’ores et déjà interdit de voyager dans l’Union européenne. Le stade suivant, qui reste en discussion, pourrait notamment consister à couper les banques publiques russes de leurs sources de financement européennes. Mais va-t-on pouvoir longtemps justifier, avec quels résultats à l’appui, de ne pas identifier sans aucun doute possible les responsables d’un tir de missile sur un avion civil ayant à bord 298 personnes ?