Billet invité.
Une accalmie prévaut en Europe, mais cela pourrait n’être que partie remise. À une crise aiguë nécessitant la mise en place dans l’urgence de dispositifs de financement sur fonds publics a succédé la détente et l’euphorie sur le marché obligataire. Ce matin, la dette espagnole a dix ans est passée sous le seuil des 3% sur le marché secondaire, renouant avec son taux en 2005… Mais est-ce bien raisonnable ?
Voilà qui incite à relever le paradoxe de la situation, alors que la dette publique continue de croître dans la zone euro, qu’une forte pression déflationniste s’exerce et que la croissance reste anémique. Rien, doit-on observer, n’améliore un paysage qui avait il y a si peu suscité l’effroi et justifie un tel changement d’attitude. Dans le cas caricatural de la Grèce, les investisseurs se sont précipités sur la dette du pays alors que le gouvernement réaffirme sa volonté de négocier sa restructuration. Mais le cas général n’est pas plus favorable, au vu des perspectives d’excédent budgétaire primaire et du temps qui sera nécessaire pour réduire la dette à ce rythme.
Qu’est-ce qui peut justifier un tel changement d’attitude, si ce n’est l’abondance de liquidités et les taux proches de zéro des banques centrales associés à la foi du charbonnier ? ainsi que la conviction profondément ancrée que lorsque la finance va, tout va (alors que ce serait plutôt le contraire) ? Loin d’être un bon signal, c’est inquiétant pour l’avenir. Cette fois-ci, cela repose sur le pari que les taux obligataires vont rester au bas niveau historique actuel, qui n’est pas sans rapport avec l’adoption de mesures non conventionnelles des banques centrales (dont le maintien exprime toute la fragilité de la situation). Ainsi que sur la croyance qu’il est possible de stabiliser sur une longue période la situation telle qu’elle se présente, associant une crise sociale et politique chronique s’approfondissant à un comportement exubérant des marchés. Spéculer sur les marchés et la résignation, est-ce une politique d’avenir ou a courte vue ?
Déjà peu réjouissante, la « stagnation séculaire », annoncée selon la formule qui a fait mouche de Larry Summers, est-elle réellement une option ? Serions-nous entrés – sans que cela nous soit avoué par des autorités pusillanimes – dans une période de recul destinée à durer des décennies, au sein de laquelle ce qui a été auparavant construit va être défait ? Toutefois, un nouveau gros accident de parcours peut-il être si facilement exclu, quand on observe l’acharnement avec lequel les mesures de régulation financière sont combattues quand elles s’approchent des secteurs vitaux de la spéculation financière (notamment ce qui touche aux produits structurés) ?
Formuler ces interrogations, c’est s’interroger sur le prix qu’il faudrait continuer à payer pour le sauvetage de longue durée d’un système profondément destructeur, dont l’instabilité est désormais chronique. Dans l’immédiat, celui-ci fait la preuve que, s’il a été possible d’éviter son effondrement, c’est à un coût qui se révèle de plus en plus exorbitant, démontrant que son temps a passé. Mais les longues agonies sont les plus douloureuses. À lui seul, un mot honni résume ce qui est appelé à lui succéder, qui suscite de premières réalisations : le partage, qui s’oppose à l’accaparement.