Billet invité.
L’affaire est depuis longtemps entendue : quand les faits ne correspondent pas à la théorie, il suffit de les changer ! Les exemples de supercheries de ce type ne manquent pas ces derniers mois, à commencer par l’utilisation de la méthodologie qualifiée de « spécifique » utilisée par la Commission afin que la Grèce dégage comme il se devait un excédent primaire budgétaire 2013 positif de 1,5 milliards d’euros. Ce qui lui a permis de revendiquer le succès de sa politique, sans s’attarder sur ses à-côtés.
Le solde budgétaire primaire ne prend pas en compte les intérêts de la dette, mais Eurostat a en la circonstance fait du sur mesure pour les besoins de la cause : il en a également soustrait le montant de l’aide aux banques grecques financé par le dernier plan de sauvetage (destiné à être remboursé) et a pris en compte la rétrocession au budget de l’État des bénéfices réalisés par la BCE sur ses achats d’obligations souveraines grecques. Et le gouvernement grec s’est retrouvé dans les clous ! Effet secondaire, un coup de pouce a été donné à Antonis Samaras, le premier ministre, afin de l’aider à ce que son parti, Nouvelle Démocratie, devance Syriza aux prochaines élections locales et européennes. Une question de la plus haute importance.
Une autre démonstration de la pertinence de la politique européenne s’esquisse au Portugal, à l’échéance de son plan de sauvetage le 19 mai. Bénéficiant de ce que Le Monde qualifie sous la plume de Marie Garrel de « déroutant enthousiasme pour les dettes » avant d’en dévoiler les mystères, le gouvernement vient de réussir comme un grand une modeste émission à dix ans qui avait valeur de test. Afin de permettre aux banques portugaises d’acheter la dette du pays et de contribuer à la baisse de ses taux obligataires, la BCE avait discrètement décidé en novembre dernier – avec effet au 1er avril en prévision de cette échéance – d’accepter en garantie de leur part les titres notés BBB-. Mais les tensions ont entre-temps disparu sur le marché obligataire, rendant cette facilité superfétatoire. Pour rendre plus éclatante cette réussite, le gouvernement portugais ne devrait finalement pas demander à bénéficier d’une ligne de crédit de précaution, décision qui va être présentée comme la confirmation du retour à la normalité. Il sera simplement oublié de rappeler que le gouvernement a couvert par anticipation ses besoins de financement de l’année à venir en profitant des bonnes conditions du marché, qui ne seront pas nécessairement éternelles, rendant cette assurance superflue…
Chaque pays a eu droit à son petit coup de main en douce. Il aurait été particulièrement réussi en Espagne, grâce à la surévaluation des achats aux banques de leurs actifs douteux par la Sareb, la bad bank mise en place par le gouvernement. Les banques en auraient profité mais le bilan de la Sareb n’en sortirait pas amélioré. Bien heureusement, l’État y étant minoritaire en raison d’un montage capitalistique ayant impliqué les banques, le déficit de celle-ci n’est pas pris en compte dans le calcul de celui de l’État. Question de périmètre !
Cette petite attention révélée par le journal espagnol ABC a été accompagnée d’une autre qui l’avait précédée en novembre dernier, annoncée par le ministre des finances, Luis de Guindos. Une nouvelle réglementation comptable a été adoptée qui transforme en crédits d’impôts garantis par l’État les créances fiscales différées figurant au bilan des banques, ce qui a permis de les traiter comme des fonds propres grâce à un simple jeu d’écriture ! Sur les 50 milliards de créances fiscales différées inscrites à leur bilan, 60% pourraient bénéficier de cette disposition, ce qui représente 30 milliards d’euros et améliore d’autant leurs bilans sans avoir à lever le petit doigt. La modification des écritures comptables produit parfois des miracles.
Les accommodements ne manquent pas quand il s’agit de masquer la faillite d’une politique par des effets d’annonce et des interprétations avantageuses de données un peu trop sollicitées. A quels signaux peut-on alors se vouer, parmi tous ceux dont nous sommes abreuvés ? Les indices des places boursières ? La parité de l’euro ? Le taux d’inflation ou celui de la croissance ? L’indice PMI de la confiance ? L’Eonia du marché interbancaire ? Pour aller à l’essentiel, le plus significatif des indicateurs reste le taux d’emploi (et non pas ceux du chômage). Il exprime la proportion de personnes disposant d’un emploi par rapport à celles en âge de travailler. Car celui-là ne trompe pas.