Billet invité
S’il était encore possible d’être scandalisé devant la désinvolture avec laquelle les affaires importantes du monde sont traitées, le projet de réforme des activités de la NSA de Barack Obama en fournirait une nouvelle occasion. Rien ne devrait changer, pour en résumer la teneur, à la seule exception du sort réservé à la collecte des métadonnées téléphoniques sur le territoire des États-Unis, que les opérateurs américains du téléphone stockeront pendant dix-huit mois en lieu et place de la NSA, qui les gardait cinq ans. Une procédure judiciaire d’accès sera définie. Mais cette nouvelle disposition destinée à calmer les esprits ne concernera pas les données recueillies via Internet et ses services, et la NSA aura toujours le champ libre à l’extérieur du pays. La qualifier de rideau de fumée n’est pas exagéré.
Au Brésil, une nouvelle loi a été adoptée hier par la Chambre des députés (en première lecture), afin de mieux protéger la confidentialité des internautes. L’initiative détonne dans un contexte international généralement marqué par des restrictions, des filtrages et des interdictions d’usage de certains services d’Internet, ainsi que par la poursuite de l’offensive en faveur d’un Internet à deux vitesses qui permettrait aux opérateurs d’accroître leur chiffre d’affaires commercial. Différentes dispositions en faveur des internautes devraient être au final adoptées au Brésil, dont le principe de la neutralité d’Internet qui interdit cette dernière évolution, mais le projet d’imposer le stockage des données sur le territoire brésilien a été abandonné, car il est illusoire de vouloir ainsi se protéger : on ne peut agir efficacement sur le réseau mondial dans un seul pays.
Cela renvoie à la tenue d’une conférence mondiale, qui va se tenir à São Paulo les 23 et 24 avril prochains, où seront réunis les représentants des 12 gouvernements co-organisateurs, ainsi que ceux des entreprises du secteur, de la société civile, de deux organisations internationales de l’ONU (dont l’OIT), accompagnés de notoriétés académiques et de membres de la communauté technique. À l’ordre du jour: l’élaboration de principes pour la gouvernance de l’Internet et l’établissement d’une feuille de route définissant son évolution future. Le dispositif d’origine a fait son temps, mais son remplacement est source d’enjeux et de luttes d’influence.
La problématique d’une gouvernance mondiale n’est pas propre à l’administration d’Internet, comme l’a mis en évidence la tentative depuis avortée de confier l’encadrement des activités financières au G20. Les organisations internationales ne manquent pas non plus : ONU, FMI, Banque Mondiale, OIT, OMC, OMS, CIJ, mais ce n’est pas leur faire injure que de constater qu’elles sont sclérosées et qu’il ne peut pas en être attendu les novations qui s’imposent. Avec Internet s’offre l’opportunité d’innover et de placer ses usagers – c’est-à-dire tout le monde – au centre des jeux de pouvoir et d’intérêts, afin qu’ils puissent faire prévaloir les leurs suivant une alchimie qui reste à trouver malgré l’adversité. Le rôle qu’Internet joue – et va de plus en plus jouer – ainsi que la place qu’il occupe impliquent en effet de garantir au mieux son intégrité et sa neutralité. Préfigurant une nouvelle approche de la gouvernance mondiale, celle d’Internet pourrait être d’un genre nouveau, quoique difficile à mettre en place et à pérenniser.
Dilma Rousseff, la présidente brésilienne, a salué sur twitter la nouvelle loi en caractérisant Internet comme un lieu où doivent être respectés les droits de l’Homme, ce qui a une certaine résonance dans ce pays et dans sa bouche. Le droit au secret, à la liberté d’expression, à la pluralité et l’accès libre à l’information sont en question, comme l’ont relevé les organisateurs brésiliens de la Conférence de São Paulo. Mais la NSA a pris les devants, et avec elle les autres grands services de renseignement. Le danger d’une mainmise commerciale qui se précisait avait été bien anticipé, mais celui que le monde du renseignement représente a depuis été une découverte. Symbolisant ce que sont les véritables lieux de pouvoir, il s’avère que les entreprises du secteur – industriels ou sociétés de services – collaborent ou ont collaboré avec les services de renseignement, malgré leurs dénégations.
Les lieux et les mécanismes de pouvoir se dévoilent, qu’ils soient économiques et financiers ou instruments d’un contrôle social généralisé plus avancé qu’il était perçu. Dans les deux cas, les réponses manquent à une même question : comment les combattre efficacement ? Les grilles d’analyse les plus communément utilisées s’en tiennent à des visions passéistes de l’exercice du pouvoir et à la défense des intérêts nationaux. Un pouvoir qui s’est entre-temps rendu inaccessible, vidant la démocratie de son contenu et rendant nécessaire de le mettre en cause là où il se trouve.