Billet invité
Marchant quelque peu sur des œufs, les dirigeants politiques européens empruntent des chemins dont ils ne savent pas où ils les mènent. L’échéance proche des élections européennes a conduit aujourd’hui Angela Merkel et François Hollande à donner une date butoir en vue de conclure avant qu’elles ne se tiennent les négociations sur la taxe sur les transactions financières qui sont enlisées : il faut montrer que les choses avancent. À l’inverse, le gouvernement allemand repousse au lendemain de mêmes élections toute décision à propos de la Grèce, qui impliquera sous une forme ou sous une autre une restructuration de la dette du pays aux frais des contribuables allemands en particulier, et européens en général.
Afin de consolider la position chancelante d’Antonis Samaras, le premier ministre grec, et de ne pas précipiter la tenue d’élections anticipées qui pourraient conduire à la victoire de Syriza, la Troïka s’apprête à débloquer avant les élections européennes une nouvelle tranche d’aide, qui se faisait attendre, tandis qu’une loi présentée au parlement pourrait opportunément adoucir certains angles. Partout ailleurs et sans attendre, les préparatifs des prochaines élections nationales sont également entamés et les discours s’affutent en conséquence. En Espagne et au Portugal, le retour des socialistes s’annonçant plus incertain qu’ils ne l’escomptaient – la mémoire des électeurs n’étant pas si courte – l’hypothèse de gouvernements de coalition avec la droite au pouvoir n’est plus à exclure, selon la formule par défaut déjà employée en Grèce et en Italie. Car l’essentiel est qu’il y ait aux commandes un gouvernement prêt à avaliser la poursuite de la stratégie de désendettement actuel.
En Italie, c’est sous les auspices d’un accord avec Silvio Berlusconi à propos de la future loi électorale (qui accorderait une prime au premier arrivé) que Matteo Renzi s’apprête à devenir premier ministre et à être confronté comme son prédécesseur à la même lancinante question : que faire ? Mais le sort de l’Italie est trop important pour que de nombreux médecins ne s’affairent pas à son chevet. Avec pour certains l’idée que la Commission européenne lui accorde – comme à l’Allemagne et la France en 2003 – une dérogation lui permettant de franchir le seuil fatidique des 3 % de déficit public du PIB afin de retrouver une marge de manœuvre. Ce n’est pas gagné.
Les accommodements possibles ne s’arrêtent pas là. On a entendu il a deux jours Nick Clegg, le leader des libéraux-démocrates britanniques, saluer les évolutions enregistrées chez les travaillistes, accréditant l’hypothèse d’un futur retournement de veste au détriment des conservateurs si d’aventure les travaillistes étaient un peu court. En France, la vie politique s’apprête à être rythmée par les épisodes du retour annoncé de Nicolas Sarkozy, dans lequel la droite fonde ses espoirs faute d’autre candidat crédible.
Tout cela tourne en rond, exprimant une crise politique larvée sur fond de désenchantement des électeurs. À défaut de porter sur les faits, les batailles que se livrent désormais les partis de gouvernement jouent sur les mots dans ce champ étriqué de l’action politique qu’est la communication. La société du spectacle a-t-elle jamais offert une aussi mauvaise représentation ? Le jeu de rôle dont nous sommes les spectateurs contraints a-t-il jamais été aussi détestable ?