Billet invité
La vie hasardeuse de banquier central est pleine de vicissitudes ! Décidé mais prudent, le président de la Fed vient de procéder à un modeste resserrement monétaire afin de ne pas effaroucher les marchés. Il n’est pourtant question que de diminuer par petites touches, et en tâtant précautionneusement le terrain, les achats mensuels de titres hypothécaires et de la dette américaine, et non pas d’entamer la réduction du bilan de la Fed en asséchant les liquidités déversées ces dernières années.
À force d’être attendue, la décision de la Fed n’a pas cette fois-ci suscité de vive réaction sur les marchés boursiers et obligataires, d’autant qu’une importante compensation a été accordée : Ben Bernanke, le président sortant, a annoncé que la politique de taux zéro de la Fed allait se poursuivre longtemps, déconnectant toute remise en cause de celle-ci du taux de chômage, donnant ainsi la garantie que le crédit qu’elle dispense allait quoi qu’il en advienne continuer à être gratuit ! Revenir sur cette gracieuseté aurait été beaucoup plus lourd de conséquences.
Ce qui laisse entière une interrogation toujours en suspens : si la Fed a toujours annoncé qu’elle avait les moyens d’assécher le marché de ses liquidités, allant jusqu’à procéder à de petits tests sans réelle signification autre que symbolique, elle ne s’y engage toujours pas. Le temps n’est pas venu de retirer ce filet de sécurité auquel le système financier manifeste son profond attachement – si ce n’est son addiction – en dépit de ses conséquences sur un marché des actions qui prospère sans plus se soucier de l’état de l’économie réelle. L’État-providence a changé de bonnes œuvres : le capitalisme assisté a de beaux jours devant lui.
Haruhiko Kuroda, le gouverneur de la Banque du Japon (BoJ), continue le nez dans le guidon. Le comité de politique monétaire qu’il préside a annoncé qu’il « maintiendra cet assouplissement qualitatif et quantitatif, visant à une inflation de 2 %, autant qu’il sera nécessaire pour atteindre cet objectif et maintenir ce taux de façon durable ». Une période de deux ans avait été initialement convenue, mais les résultats enregistrés augurent de sa poursuite au-delà, la BoJ continuant d’augmenter son impressionnant stock de titres obligataires d’État, au rythme de 350 milliards d’euros annuels ! Il est abondamment relevé que le frémissement du taux d’inflation constaté provient pour l’essentiel de l’augmentation du coût de l’énergie, en raison de l’arrêt du parc des centrales nucléaires et de la nécessité d’importer du gaz, et que la hausse de la TVA qui va intervenir en janvier risque de freiner le redémarrage de la croissance : deux raisons pouvant impliquer une intervention complémentaire de la BoJ. En termes de fuite en avant, le Japon prend incontestablement une longueur d’avance.
Le cas de la BCE est toujours à part, par construction pourrait-on dire, et illustre à sa manière une autre fuite en avant. L’activation de son programme OMT, qui prévoit des achats de titres obligataires sur le marché secondaire, pourrait lui faire rejoindre ses collègues qui l’ont largement distancée dans une course où elle se retrouve isolée et d’un poids relatif dans un système financier mondialisé. Elle vient à ce sujet de prudemment pointer le bout du nez à propos de la sortie du Portugal de son plan de sauvetage, mais la retenue à laquelle elle est réduite conduit son président à annoncer des intentions qu’il ne peut mettre à exécution. La crédibilité sur laquelle cette politique repose est dorénavant menacée par la construction d’une union bancaire si inopérante que les velléités de la BCE de procéder à une opération vérité sur les bilans bancaires en sortent sérieusement bridées. Par défaut, il est bien réclamé par le Président du Parlement européen que le Mécanisme européen de stabilité (MES) soit le garant en dernier ressort du système bancaire, mais cela illustre on ne peut mieux comment le serpent se mord le bout de la queue.
En dernier ressort : cette expression est par trop assimilée à l’idée que l’action correspondante sera déterminante (puisqu’il n’y en pas d’autre derrière). C’est à tort, si l’on observe que les banques centrales se sont certes révélées capables de temporiser, mais qu’elles ne résolvent rien. Les fuites en avant américaine et japonaise ne sont pas davantage une politique que celle qui fait supporter aux États l’essentiel du poids du désendettement, comme elle continue de prévaloir en Europe. Faire harmonieusement fonctionner le monde en réduisant ses besoins d’endettement – et pas seulement sa dette – suppose des remises en cause d’une toute autre envergure !