Billet invité.
Les minutes des réunions du comité de politique monétaire de la Fed (FOMC) donnent un éclairage sur ses débats qui fait toujours défaut à la BCE, celle-ci se gardant bien d’adopter une telle transparence, sa timide réflexion à ce sujet n’ayant toujours pas abouti. Cherchant à calmer le jeu, Jens Weidmann, membre du conseil des gouverneurs de la BCE et président de la Bundesbank, déplore aujourd’hui dans Die Zeit que les débats de la Fed ou de la Banque d’Angleterre sont rapportés « de manière plus sereine » que ceux de la BCE, mais à qui la faute ? En vérité, les discussions au sein des banques centrales gagnent en intensité mais sans aboutir, créant une incertitude et une confusion en contradiction avec la politique de « forward guidance » qu’elles affichent, qui est destinée à aider les investisseurs à anticiper (dans le sens souhaité).
La Fed en a conscience, qui cherche à « clarifier sa communication », selon le communiqué du FOMC, comme si c’était de cela qu’il s’agissait, les analystes étant suspendus à un éclairage de sa politique qui ne vient pas. Les inconnues sont en effet légion : calendrier et modalités de la diminution des achats mensuels de titres 85 milliards de dollars, modification du panachage entre les achats de la dette souveraine et des titres hypothécaires immobiliers, évolution future des taux, abaissement de la rémunération des réserves des banques (afin de les inciter à développer le crédit aux entreprises), diminution du taux de chômage justifiant la poursuite de ses mesures tant qu’il ne sera pas atteint, modification de ce mécanisme afin de substituer au taux du chômage les taux d’intérêts…
Les membres du FOMC débattent sur toutes ces options, mais dans l’immédiat l’immobilisme prévaut, signe qu’ils ne savent pas quoi faire. Ben Bernanke assure que les taux resteront très bas durant « une période considérable », même après que le seuil cible du chômage aura été atteint. En réalité, la Fed butte sur une difficulté toute bête dans sa communication, ne pouvant expressément reconnaître que sa politique vise prioritairement à contenir la hausse du taux auquel la dette américaine est financée.
Le Bureau du budget du Congrès (CBO) – un organisme non partisan suivant la terminologie américaine – le confirme à sa manière : la mi-janvier s’approche, s’alarme-t-il, date à laquelle un accord budgétaire permettant de respecter le plafond de la dette fédérale est à nouveau requis, après l’épisode de mi-octobre. Faute de quoi, un nouveau compte à rebours sera enclenché, pouvant conduire à un défaut sur la dette probablement en mai-juin, toutes les mesures exceptionnelles possibles une fois épuisées. Les banques vont devoir réactiver toutes les mesures de précaution qu’elles avaient prises et de nouvelles tensions vont apparaître sur les taux courts.
Insensiblement, un tournant est en train de s’opérer dans la vie politique américaine. Le thème de la détérioration du niveau de vie des classes moyennes et du développement des inégalités n’est plus l’apanage des démocrates – et plus particulièrement des plus libéraux d’entre eux – mais il est également repris par des républicains proches ou affiliés aux libertariens. Mais, à l’image de ce que nous observons en Europe, les partis de gouvernement n’ont pas de réponse à apporter. L’administration Obama fonde ses espoirs dans une relance économique résultant des négociations commerciales avec l’Europe et dans le cadre du Pacific Rim, une issue aussi floue que la dernière déclaration franco-italienne conjointe qui préconise de « réorienter l’Europe de l’austérité vers la croissance » sans dire avec quels moyens.
Les négociations entre CDU-CSU et le SPD à propos d’un gouvernement de coalition allemand sont entrées dans une phase de tension, créant une situation d’attente prolongée sur trois dossiers d’importance ayant en commun de traiter du système bancaire, sujet devenu primordial après avoir été escamoté. Les ministres des finances essayent de confectionner un savant cocktail associant le champ d’action des banques qui vont être évaluées par la BCE et de l’EBA, l’identité et la nature de l’instance chargée d’en tirer les conséquences, et le mode de financement sur laquelle elle s’appuiera. Tout cela baigne dans un grand flou artistique et nul ne peut prévoir la couleur du lapin qui va sortir du chapeau, ni quand il va en être sorti. Dans la perspective du prochain sommet européen des 19 et 20 décembre, les négociateurs s’orientent vers un accord de façade : l’union bancaire s’inscrirait dans un premier temps dans le cadre national exigé par le gouvernement allemand (et préserverait des investigations une partie de ses banques), pour ensuite évoluer vers un cadre européen, selon un calendrier et des modalités plus ou moins détaillés…
Le commissaire au marché intérieur et aux services, Michel Barnier, annonce qu’une proposition est en cours d’élaboration afin d’isoler les activités bancaires les plus risquées, suite aux recommandations du rapport Liikanen (du nom du gouverneur de la BCE qui la présidait) que la Commission avait commandé avant de le ranger soigneusement au fond d’un tiroir, en raison de sa portée. Hors de question de créer des distorsions de concurrence avec les banques américaines ! a précisé le commissaire à la recherche d’un succès pour asseoir sa candidature à la présidence de la Commission. Il va pouvoir se réfugier derrière l’annonce que la Fed allait repousser l’application de la règle Volcker devant la réaction du monde bancaire américain pour justifier sa prudence. On sait déjà que toutes les recommandations du rapport Liikanen ne seront pas retenues, et l’on présume que le modèle de « banque universelle » qui est résolument à l’opposé de l’esprit de cette réforme visant à séparer les activités spéculatives sur fonds propres de celles de dépôt sera préservé.
C’est à l’intérieur de la BCE et de la Bundesbank que se poursuit un débat à propos de la valorisation de la dette souveraine inscrite au bilan des banques qu’elle va examiner. Andreas Dombret, membre du directoire de la seconde (mais pas de la première), préconise « une phase d’adaptation raisonnable » à une prise en compte du risque que représente la dette publique, car « si l’on impose du jour au lendemain une contrepartie financière [à la détention] d’emprunts d’États, cela pourrait conduire une fois de plus à des conséquences indésirables ». Tout en réaffirmant, non sans nuances, qu’une telle valorisation est nécessaire comme le réclame Jens Weidmann… Le même Andréas Dombret réclame la mise en œuvre d’un mécanisme unique de résolution (démantèlement) des banques et sa mise en place pour un lancement début 2015, rejoignant ainsi les positions majoritaires au sein du conseil des gouverneurs de la BCE et s’éloignant de celles défendues par le gouvernement allemand. Enfin, des rumeurs insistantes courent sur l’opportunité, qui serait en discussion, d’adopter un taux négatif pour les réserves déposées par les banques à la BCE, à l’instar de ce que la Fed pourrait également décider. Une mesure tout à fait inédite dont les effets ne sont pas connus faute d’expérience.
Que d’hésitations, de faux-semblants et d’incertitudes aux plus hauts niveaux, alors que l’OCDE diminue encore ses prévisions de croissance et multiplie les remontrances tous azimuts, reflétant la dégradation de la situation qui se poursuit. Les pitreries sur le thème « nous sommes sur la voie du redressement » ne crédibilisent pas ceux qui sont coincés dans leur politique.