Billet invité.
Dans la dernière livraison de son bulletin mensuel, la BCE constate la chute de la croissance de l’Eurozone, qui est tombée de 2,5% en 2009 à 0,5% cette année. Rapporté au taux d’inflation de 0,7%, est-il besoin d’être particulièrement perspicace pour prédire une longue période d’anémie de l’économie, et en conclure que la réduction du déficit public ne pourra pas être effective sans de nouveaux trains de mesures de rigueur budgétaire et d’austérité ? Parallèlement, la crise sociale s’accentue, plus particulièrement au sein d’une jeunesse dont l’avenir est sombre, dont rend compte l’International New York Times (anciennement Herald Tribune). Telles sont les mâchoires de la tenaille qui se referment.
Le coût du désendettement s’avérant insoutenable, escamoter la dette devient une grande tentation. Wolfgang Münchau préconise dans le Financial Times que la BCE s’engage résolument dans une politique d’achat d’actifs, la carte de la dernière chance, peu confiant dans les effets de la diminution de son taux au jour le jour et d’une nouvelle et ultime baisse qui l’amènerait à zéro… La forward guidance, qui tente d’influencer les anticipations du marché en rompant le tabou de l’ambiguïté et de l’incertitude qui jusqu’alors prévalait ayant par ailleurs donné ce qu’elle pouvait, c’est à dire pas grand chose. Ministre français au titre un peu pompeux – du redressement productif – Arnaud Montebourg se donne une posture en s’inscrivant dans le sillage de Janet Yellen de la Fed qui laisse filer la poursuite des achats de titres de cette dernière, selon lui un exemple à suivre par la BCE. Enfin, Juan Ignacio Crespo, directeur Europe de Thomson Reuters, signe une chronique dans El Pais dans laquelle il suggère d’aller plus loin encore, et que la BCE après avoir procédé à ces mêmes achats sur le second marché, les échange ensuite avec les États émetteurs pour des obligations perpétuelles (dont le principal n’est jamais remboursé, seuls les intérêts sont payés). La condition sine qua non, selon lui, pour parvenir au ratio de 3% maximum de déficit par rapport au PIB.
Tous sont pour le moins très en avance sur les autorités politiques européennes. C’était déjà le cas de certains, lors du débat sur les euro-obligations et la mutualisation de la dette, dont le principe a depuis été enterré. Faut-il en déduire qu’un même destin attend ce tour de passe-passe, ou que cette fois-ci, forcé et contraint, il faudra se résoudre à l’opérer ? Comme on va le voir, cela ne ferait que créer un nouveau risque.
Dans les allées du pouvoir, la question est omniprésente : comment dégager des marges de manœuvre dans une situation marquée par le danger de convulsions sociales d’un côté et d’incertitude juridique (autre magnifique formule) dénoncée par le patronat de l’autre ? Après le chantage à la fuite des talents, voici brandi la menace que les investisseurs désertent les pays qui, pris de « folie », dresseraient des barrières à l’optimisation fiscale. Côté syndicats, une réforme fiscale est revendiquée, au nom de la lutte contre les inégalités. Côté analystes, le nettoyage du bilan des banques zombies est préconisé, au regard des similitudes discernées entre la situation dans laquelle l’Europe menace d’entrer et celle dont le Japon ne parvient pas à sortir. Les deux remèdes ne sont pas incompatibles !
Mais leur adoption est bien incertaine, d’où la tentation d’une potion magique dont seule la BCE a la recette : la mise en route de la planche à billets. Avec comme argument que ses nouvelles responsabilités en matière de surveillance du système bancaire peuvent l’autoriser à plus d’audace dans le déploiement de sa politique monétaire, lui permettant notamment de déceler la formation de bulles financières. Le programme OMT de 2012 a joué son rôle en apaisant le marché obligataire, est-il poursuivi, mais la menace ne suffisant pas, il faut passer à l’acte. Considérant comme quantité négligeable que cela signifierait pour la BCE inscrire à son bilan de la dette souveraine ne pouvant plus être remboursée, la transformant encore plus qu’elle n’est déjà en une véritable bad bank (quitte à utiliser l’artifice de la dette perpétuelle généralement utilisé aux lendemains des grandes guerres qui laissaient les États surendettés).
Une question est ignorée, dont la réponse éclaire le danger que cela créerait : « où vont les liquidités déversées par les banques centrales dans le système financière ? » Il n’est pas besoin d’aller chercher bien loin la réponse, le Conseil de la Stabilité Financière (FSB) a annoncé vendredi dernier que la taille du shadow banking allait augmenter de 8% en 2013, atteignant le montant de 70 mille milliards d’actifs, soit sensiblement la moitié de ce qui est géré par le secteur bancaire régulé (une façon de parler). La suite en découle. Au vu des retards apportés à la mise en œuvre de la régulation bancaire et de sa conception même, on se sentira autorisé à être dubitatif quand Mark Carney, son président, affirme que « Le Conseil va poursuivre son travail de surveillance pour identifier les risques associés aux pratiques de ce secteur ». Le même ayant dernièrement émis l’hypothèse de rendre accessible en cas de besoin les guichets de distribution de liquidités de la Banque d’Angleterre – qu’il préside également – aux hedge funds. Si cela ne renforce pas l’aléa moral….
Quant à la défense et illustration du shadow banking, qui met en avant pour dédramatiser cette malheureuse expression que les compagnies d’assurance en sont une des composantes – et pas seulement les hedge funds et les sociétés de courtage – elle n’est guère plus convaincante à voir les mesures de régulation qui ont été décidées pour celles-ci. Solvency II (solvabilité) va être aux compagnies d’assurance ce que Bâle III est aux banques, définissant notamment les règles de détention de fonds propres du secteur. Immanquablement, les mêmes problématiques réapparaissent : valorisation des actifs, utilisation d’un modèle standard ou de modèles internes, ajustement de volatilité destiné à pondérer les écarts de valeur (comme c’est bien dit !). Nul autre qu’un assureur traduisant ainsi le soulagement qui a parcouru toute la profession, ne pouvait mieux exprimer ce qu’il faut en penser, en se félicitant dans Les Échos d’avoir observé « une intelligence commune entre l’industrie et ses superviseurs » (Antoine Lissowski, directeur financier de CNP assurances).
Aux dernière informations, la Fed étudie la possibilité de repousser la date de mise en œuvre de la mesure la plus redoutée et combattue par les banques américaines de la loi Dodd-Frank : l’interdiction qui leur est faire de spéculer sur fonds propres, directement ou via des filiales et des investissements dans des hedge funds. La planche à billet alimente ce secteur à la recherche d’un rendement maximum, via les banques qui ont accès aux liquidités de la Fed. Ces mêmes banques pourraient donc subir en retour les répercussions de risques pris au sein du shadow banking. La magie de la potion aurait donc des effets secondaires potentiels très indésirables : demander à la BCE d’acheter de la dette souveraine reviendrait à financer le secteur le plus risqué et le moins contrôlé de tout le système financier et pourrait mettre celui-ci en péril, banques comprises. On retombe toujours sur le même problème, qui est esquivé : il faut prioritairement faire une opération vérité et le ménage dans le secteur bancaire.
Yves Mersch, membre du directoire de la BCE, continue de tourner autour du pot à propos du futur traitement des obligations souveraines par la BCE lors de sa revue de détail à venir des bilans bancaires. Si elles ne devraient pas subir de décote, pour satisfaire au principe qu’elles sont à zéro risque et ne pas faire un aveu de faiblesse, leur poids dans les bilans devrait être néanmoins pris en compte ! La BCE et l’Autorité bancaire européenne (EBA) vont devoir trouver ensemble la recette de cette drôle de cuisine. C’est le moment qu’a choisi le président de cette dernière, Andrea Enria, pour soulever un sérieux lièvre. » Je suis convaincu que trop peu de banques européennes ont été démantelées et ont disparu du marché », a-t-il déclaré, avant de poursuivre : « les gouvernements ont voulu maintenir en vie leurs banques, et cela a freiné le processus de convalescence ». Il intervient ainsi dans le débat sur l’union bancaire en s’opposant à la conception allemande du mécanisme de résolution, son second pilier, qui privilégie des instances nationales. Ce qui fait écho au compromis trouvé vendredi dernier par les ministres des finances européens de l’Ecofin, approuvant l’intervention financière en dernière instance du Mécanisme européen de stabilité (MES), et Wolfgang Schäuble affirmant dès la sortie de la réunion le contraire. Cela fait désordre, tout de même !