Billet invité.
Petit à petit, l’oiseau fait son nid. Quinze des plus grandes banques mondiales font désormais l’objet d’enquêtes menées par sept régulateurs nationaux, dont le FCA britannique, afin de déterminer si des traders auraient pu s’entendre sur le dos de leurs clients. La Commission a de son côté lancé sa propre enquête en application de la législation anti-trust européenne. La liste des monnaies en cause s’allonge également, incluant dorénavant les devises scandinaves et le dollar australien, et non plus seulement le marché spot (au comptant) de l’euro et du dollar.
Faisant référence à l’enquête menée actuellement par la Commission à propos de la manipulation du Libor et de l’Euribor, le commissaire Joaquin Almunia, s’interroge : « Peut-être que la manipulation n’est pas l’exception mais la règle ».
L’enquête menée par les autorités régulatrices britanniques a été engagée il y a deux ans, mais a seulement débouché en avril dernier, lorsque la Banque d’Angleterre s’est emparée du sujet pour questionner les professionnels : des manipulations seraient-elles possible ? Depuis, douze traders ont été suspendus à Londres, New York et Tokyo, les trois principales places de ce marché que l’on peut qualifier de cœur du système financier, le plus vaste et le moins régulé. Avec comme particularité que les transactions sont concentrées dans les mains d’un nombre restreint de traders, qui se connaissent tous entre eux, et d’un nombre réduit de banques. Toutes conditions pouvant favoriser une collusion, comme l’utilisation toujours en vigueur du téléphone pour les transactions, et non pas d’ordinateurs en réseau comme c’est le cas sur les autres marchés.
A la suite d’une alerte d’un trader, la FCA britannique s’est plongée dans l’analyse de millions de messages échangés entre eux via les terminaux Bloomberg, messageries instantanées, SMS et mails de ces dix dernières années, dont elle a requis la communication par les banques. Un des chat, appelé « La Mafia » ou « Le Cartel », a particulièrement retenu son attention, en raison de sa fréquentation par des traders reconnus de la profession. Il en ressortirait que ce petit monde s’écrivait en toute liberté.
Si des manipulations sont finalement mises officiellement en évidence, quelles en seront les conséquences ? On est prié de ne pas rire : des banques sur la sellette ont annoncé qu’elles étudiaient la possibilité d’interdire aux traders l’utilisation des chats, contrefeu dérisoire destiné à éluder leurs propres responsabilités. Elles risqueraient en effet de non seulement devoir faire face à de nouvelles énormes amendes des régulateurs, mais aussi à des actions au civil par des investisseurs estimant avoir subi un préjudice, notamment des fonds de pension.
Il sera difficile de ne pas estimer, comme Joaquin Almedia l’a posé, que les manipulations de marché sont en réalité la règle, pour s’interroger sur la réaction qui va être adoptée. A cet égard, les atermoiements à propos du nouveau mécanisme de fixation du Libor n’incitent pas à un optimisme démesuré. À croire que le système financier a non seulement besoin de son secteur totalement dérégulé – le shadow banking – mais aussi des petites et grandes libertés que se sont octroyées ces intervenants majeurs que sont les mégabanques, qui sortent de ces années de crise encore moins nombreuses et plus gigantesques.