Billet invité.
Dix mille milliards de dollars ont été injectés dans le système financier mondial depuis 2008, rappelle Paul Jorion. Mais à la question « où vont donc toutes ses liquidités que les banques centrales n’arrêtent pas de prêter aux banques ? », la réponse des analystes est généralement vite expédiée : « elle ne redescendent pas dans l’économie ! », et ils s’en tiennent là.
Le secteur non régulé du système financier s’en trouve être un des bénéficiaires. Le Financial Times relève ainsi que le montant global des actifs détenus par les établissements spécialisés dans le financement des entreprises et de l’immobilier (les Reits dans ce second cas) est passé aux États-Unis de 779 milliards de dollars en 2008 à 1.200 milliards au second trimestre 2013.
Appliqué à la finance, c’est le principe des vases communicants, les banques ne pouvant satisfaire la demande de crédits, en raison du risque représenté par les emprunteurs ou des nouvelles contraintes qui pèsent sur leur activité, ces derniers trouvent d’autres prêteurs complaisants. C’est de chez Goldman Sachs qu’est venue l’estimation selon laquelle de 25 à 40% des clients des banques vont se tourner vers les non-banques, faute de réponse à leurs attentes. Cela donne quelques marges de croissance au phénomène !
Qui sont ces investisseurs ? Les fonds de pension et les fonds monétaires qui, confrontés au faible niveau des taux, recherchent de meilleurs rendements afin d’arranger leurs affaires. A l’arrivée, ce secteur ni encadré ni régulé concentre le risque et le répercute en bout de course sur les banques qui le finance. Afin d’accroitre les rendements, ses acteurs ont acquis les actifs les plus risqués du marché. Encore une expression de ce danger systémique qui s’insinue partout. En attendant qu’il se matérialise, c’est de ce secteur qu’est provenu le mouvement de révolte à l’arrêt du programme d’achats d’actifs de la Fed, la faisant reculer, ce qui témoigne du rapport de force !
Comment les financiers envisagent-ils la question ? Ils voudraient bien renforcer la surveillance du secteur non régulé, à condition toutefois de ne pas étouffer sa contribution à la relance économique (air connu). Mark Carney, qui porte la double casquette de président du FSB (Financial Stability Board) et de la Banque d’Angleterre, a évoqué la possibilité de donner aux non-banques l’accès aux guichets dispensateurs de liquidités de la Banque d’Angleterre, dans le cadre de l’offensive que mène la City pour accroître son rôle mondial, qu’il soutient vigoureusement. Combattre le mal par le mal : si la City s’en mêle, le pire est à craindre !