Billet invité.
La banque et compagnie d’assurance hollandaise Rabobank a été condamnée à une amende de 774 millions d’euros, en attendant de connaître le sort réservé à la Deutsche Bank, qui provisionne à tour de bras pour faire face à ses multiples déboires. De nouvelles manipulations financières sont suspectées, les précédentes n’ayant pas été étouffées : l’enquête à propos du Libor se poursuit, et la liste des banques condamnées à des amendes s’allonge, mais elle est désormais élargie au marché des changes (le Forex). Là s’échangent quotidiennement en moyenne la valeur de 5.300 milliards de dollars, en rapide progression, la City étant la place de référence. Plus de 40% des transactions mondiales y sont réalisées et de nombreuses banques et opérateurs étrangers y contribuent sans même être contrôlées par le régulateur britannique : le FCA. Barclays, UBS, RBS, Deutsche Bank… toujours les mêmes mégabanques sont suspectées à propos de manipulations de change, des enquêtes ont été entreprises par le ministère de la justice américain, la FCA britannique, la Finma suisse et le régulateur de Hong Kong.
Dans les deux cas, les masses financières en jeu sont colossales, ce qui ne relève pas du simple hasard de circonstance. Autre point commun, la City jouait également un rôle prépondérant dans la fixation quotidienne des indices du Libor, confiée aux bons soins de la British Bankers’ Association (BBA) avant que le scandale n’éclate. Décidément, la place de Londres est aux premières loges chaque fois qu’un scandale éclate, alors qu’à Wall Street les régulateurs continuent de mener la danse, JP Morgan Chase et son Pdg Jamie Dimon plus que jamais sur la sellette. Les persifleurs feront toutefois remarquer qu’ils peuvent s’en donner à cœur joie, les banques annonçant des résultats plus que substantiels leur permettant de payer de très lourdes amendes sans être mises sur la paille, évitant de fâcheuses conséquencessystémiques qui ne pourraient pas être assumées.
Dans sa forme classique, le délit d’initié reste un moyen éprouvé de mettre toutes les chances de son côté dans un monde financier régi par l’imprévisible. Mais évaluer ses frontières et son ampleur, en faire même la preuve, est un art réputé difficile. Si l’incertitude est une condition indispensable à la tenue de paris sur les fluctuations des prix, tous les moyens sont bons pour la lever afin de gagner ceux-ci. Y compris de se donner un coup de main entre gens du monde en manipulant les marchés ! Aboutissement logique de la dérégulation qui a ouvert le chemin, ce monde de peu de lois est naturellement rempli de hors-la-loi.
Dans les années 80 de la grande dérégulation financière, la mission a été confiée aux quants d’aider les anticipations, munis de leurs modèles mathématiques, mais l’on connait désormais leurs limites, voire leur fausseté. Évaluer sans se tromper la valeur des actifs financiers afin de minorer le risque à rendement donné, la mariée était trop belle ! Parallèlement, le trading automatisé a vu croître sa part dans le volume total des transactions. Le trading à haute fréquence – son application vedette – a suivi le même chemin. Utiliser les techniques modernes pour renouveler le bon vieux délit d’initié s’est finalement imposé, la Fed en a dernièrement fait l’expérience. Rappelons les faits : le 18 septembre dernier, depuis la bourse de Chicago, des transactions portant sur 800 millions de dollars de futures ont été effectuées dans un très bref laps de temps (7 millièmes de seconde), inférieur au temps de transmission depuis Washington de l’information selon laquelle la Fed ne réduisait pas comme attendu ses achats de titres. La cause a été entendue : une fuite est intervenue malgré toutes les précautions.
De la même manière que le shadow banking est inséparable de sa face visible soumise à régulation, faudrait-il croire que les comportements délictueux le sont également de l’activité financière, à voir ses établissements les plus prestigieux surpris les mains dans le pot à confiture ?