Billet invité
La question pourrait paraître saugrenue, tant ses compétences sont présentées comme indiscutables : la BCE a-t-elle les moyens de procéder, comme elle l’annonce aujourd’hui, a un examen sans concessions du bilan des 124 plus grandes banques européennes, en partenariat avec l’Autorité bancaire européenne (EBA) qui va de son côté réaliser une troisième batterie de tests ? Afin d’impressionner, elle met en avant le recrutement de 800 analystes et des travaux allant durer un an. Mais c’est une période dont elle va avoir bien besoin, on va voir pourquoi.
En première approche, il y a quelque-chose qui cloche là-dedans. Deux piliers sur trois de l’union bancaire sont en panne, faute desquels la situation va devenir inconfortable pour la banque centrale : une fois des faiblesses mises à jour par ses soins, qui va décider des conséquences à en tirer lorsqu’une banque sera épinglée, et quels moyens financiers seront alors disponibles sur la table ? La BCE peut-elle s’en laver les mains en prenant la responsabilité d’aller jusqu’au bout de l’exercice qu’elle va engager, sans que la réponse ait été apportée à ces épineuses questions ?
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Ses caisses d’épargne et une large partie de ses banques régionales désormais protégées, en raison du périmètre restreint adopté pour les inquisitions de la BCE, le gouvernement allemand semble déterminé à s’opposer à toute solution qui ferait porter aux contribuables le poids financier du renforcement du système bancaire européen. Selon les informations disponibles, il camperait derrière deux lignes de défense : l’application généralisée du mécanisme du bail-in – qui prévoit l’implication prioritaire des actionnaires d’une banque à son renforcement, puis des créanciers obligataires – nécessitant l’adoption d’une loi par chacun des pays, ainsi qu’un vote obligatoire du parlement si, en dernière instance, le filet de sécurité que représentent les fonds publics doit être actionné dans un pays donné.
L’intransigeance et l’égoïsme allemands vont-ils encore frapper, si l’on s’en tient à ce sommaire et commode niveau d’analyse ? Toute implication du Mécanisme européen de stabilité (MES) et de mutualisation ont certes disparu de ce dispositif, mais c’est oublier que celui-ci repose sur des fonds et des garanties publiques. Peut-on être opposé à l’idée qu’il faut protéger les contribuables jusqu’au bout ? En réalité, la mutualisation était initialement prévue suivant une autre formule : les banques devaient abonder un fonds commun, dont on ne parle plus également. Le schéma allemand a comme implication la poursuite de la fragmentation du marché financier européen, les créanciers ne voulant pas être appelés à financer les pertes des banques étrangères dans lesquelles ils ont investi.
Ils se sont déjà retirés des banques grecques, qu’en sera-t-il demain pour les banques italiennes ? Contournement manifeste de la réglementation Bâle III, le projet de budget 2014 du pays prévoit comme expédient des échanges d’espèces à court terme entre le Trésor et les banques, afin de garantir respectivement leurs positions sur les produits dérivés… À ce train, la position allemande risque de ne pas être longtemps tenable. Rappel : Mario Draghi met en cause l’application du bail-in, non sans arrières-pensées concernant l’Italie.
En seconde approche, les choses sont plus scabreuses encore. L’appréciation de la valeur des instruments dérivés négociés de gré à gré se heurte à des difficultés insurmontables. L’estimation de leur valeur dépend notamment de celle du risque de contrepartie, dont il est l’une des composantes, qui n’est qu’indirectement estimée en utilisant les données du marché des CDS. Or si celui-ci est censé donner des indications de probabilité de défaut, il est notoirement faussé par la spéculation, avec comme difficulté supplémentaire l’absence de CDS pour certaines contreparties, impliquant l’utilisation de probabilités de défaut de contreparties considérées comme similaires… Quelle gymnastique ! L’évaluation des produits dérivés devrait reposer prioritairement sur des données de marché observables, mais par défaut des modèles internes aux banques sont utilisés, qui reposent fallacieusement sur des historiques insuffisants.
Déterminer la fair value (juste valeur) comme le veut la norme comptable internationale IFRS est dans ces conditions une gageure. On attend de la BCE des éclaircissements méthodologiques, au lieu d’escamoter le problème en ajoutant l’obligation de détenir 1 % supplémentaire de fonds propres, au titre du risque systémique, ce qui est dérisoire. Les banques seront soumises, est-il annoncé, à un examen de leurs risques (liquidités, endettement, financement) et à une revue de tous leurs types d’actifs (prêts non-performants, restructurés ou exposition à la dette des États européens). Pour ces derniers, on demande plus spécialement à voir…