Billet invité
Nous avons « quatre bonnes années devant nous », a promis Angela Merkel au soir d’une victoire attendue. Une de ces petites phrases dont le destin est d’être rappelée quand les choses tournent mal. Car si le bilan de la stratégie qu’elle personnifie est escamoté aux bons soins de la providence – c’est à dire de la BCE – rien n’est réglé et ne redeviendra comme avant, comme il avait été prédit pour être ensuite oublié.
Masqués par l’étendue de sa victoire, toutefois relativisée par une majorité SPD-Verts-Die Linke au Bundestag, l’effacement du parti libéral-démocrate allemand (FDP) longtemps le plus européen, et la percée d’Alternative pour l’Allemagne (AFD) qui a fait campagne pour une sortie de l’euro, font retentir un signal qui n’a pas fini d’être entendu.
L’heure est au fragile maintien de la zone euro, à un prix qui va devoir à nouveau être réévalué, et non plus à une construction de l’Europe qui s’avère avoir été bâclée et va péniblement continuer. Le compromis proposé par les dirigeants allemands pour faire avancer l’union bancaire en témoigne : au prétexte de concentrer les pouvoirs de la future instance de résolution sur les 130 plus importantes banques européennes, il en préserve les plus petites d’entre elles et soustrait aux regards inquisiteurs l’implication des dirigeants politiques régionaux dans leur gestion. Tous ensemble, mais chacun pour soi !
Si ce n’était que cela ! Le voile s’est progressivement levé sur le miracle allemand, son marché du travail, sa sous-traitance à l’Est, et au bout du compte sa vulnérabilité aux résultats des exportations industrielles du pays dans un monde où la croissance des émergés a sérieusement ralenti. Non sans risque d’incidents de parcours – comme en Italie où la récession s’approfondit et la crise politique se poursuit – une fragile croissance atone est installée en Europe. Elle n’empêche pas la Grèce et le Portugal de continuer à sombrer et ne permet pas à l’Espagne de se relever. Le provisoire est destiné à durer quand il n’empire pas.
Dans une telle situation, le partage de la richesse prend plus de relief, non seulement entre pays du centre et de la périphérie de la région, par quoi cela a débuté, mais progressivement dans chaque pays, où sa redistribution va de plus en plus faire débat, en dépit d’un contre-feu sur le trop d’impôt dont le but est de protéger les détenteurs privilégiés de patrimoine. Le thème du partage du travail va également ressurgir, impliquant une nouvelle diminution du temps de travail à rebrousse-poil de la diminution de son coût. Lentement, un programme émerge au sein de classes moyennes menacées et renvoyées à leur statut de prolétaires (ces citoyens qui n’avaient que leurs enfants pour richesse à Rome, qui dépendent pour vivre de leur salaire selon Karl Marx).
Dans les pays les plus atteints par les mesures d’austérité, il est fait l’expérience de nouvelles solidarités, trouvé de nouveaux moyens de survie hors de la sphère contrôlée par l’État, ne prenant que marginalement ces formes d’auto-organisation qui s’étaient développées dans le travail et la vie de tous les jours au plus fort de la crise argentine de 1998. Partout, un même enjeu se révèle : ne pas laisser la réforme de l’État aux mains des libéraux dont le programme est de transférer ses activités potentiellement lucratives au privé, via les fonds de pension et les plans de santé, concentrer et accroître ses moyens en faveur du financement des biens publics et de ses missions sociales en le reconfigurant, tout en développant parallèlement les activités économiques et culturelles collectives hors de son champ d’action en élargissant l’exercice de la démocratie, afin d’entamer son dépérissement, l’économie solidaire retrouvant un contenu dévoyé.
Bien loin du résultat des élections allemandes et des spéculations sur l’assouplissement de la politique du futur gouvernement, nous sommes pris dans un grand écart entre un quotidien vécu sans espoir et des perspectives de rupture qui demandent à cesser d’être des idées en progression pour devenir des forces matérielles… Peut-on assigner à des couches sociales que peu y prépare de s’engager en faveur d’un tel programme, même afin de simplement se protéger ? Tout dépendra de l’ampleur des atteintes qui leur seront portées et de la puissance attractive des diversions qui leur seront opposées…