Billet invité.
N’ayant pour unique sujet de satisfaction qu’une reprise à un rythme « modeste et modéré », selon l’expression fétiche de la Fed, les régulateurs pénètrent maintenant dans la jungle financière, une terre inconnue abordée avec précaution. Il ne faudrait pas enrayer la machine dont la relance est tant attendue et bien doser les contraintes nouvelles qu’elle va subir. Après les banques, le tour du shadow banking est donc venu !
Les banques centrales collées à leur politique accommodante, la confirmant au nom de la forward guidance, continuent d’inonder de liquidités un monde financier qui en regorgeait déjà et de maintenir leurs taux à un très bas niveau. Avec pour résultat immédiat, en attendant que ne se concrétise la menace d’une nouvelle bulle, la déstabilisation de l’économie des pays émergés dont il était précédemment attendu qu’ils tirent la croissance occidentale. Depuis le début de l’année, la roupie indienne a perdu environ le quart de sa valeur, le réal brésilien 15% et la livre turque plus de 11%, poussant ces pays à engager des sommes considérables pour limiter une dépréciation de leur monnaie qui surenchérit leurs importations. La principale inconnue reste une décélération des achats mensuels de titres de la Fed – à l’état d’annonce et objet de toutes les spéculations – suscitant une hausse des taux de la dette américaine assortie de ses répercussions en chaine ! Entre deux maux, choisir…
Au G20, le Japon se prépare en conséquence à faire les frais des inquiétudes suscitées par cette déstabilisation monétaire planétaire, la politique américaine ne pouvant pas être mise en cause ouvertement. Le redémarrage en grand de la création monétaire de la Banque du Japon suscite une dépréciation du yen par rapport aux autres monnaies, au nom de son objectif officiel de relance de l’inflation, avec pour seule conséquence une hausse des prix importés, dont celle de l’électricité, en raison de l’arrêt du parc des centrales nucléaires.
Décidément, il faudrait que les banques centrales commencent à revenir sur des dispositions qui font de plus en plus de mal et toujours aussi peu de bien (si l’on s’en tient à leurs objectifs proclamés) ? Mais les marchés ne l’entendent pas ainsi, qui en sont les grands bénéficiaires et manifestent une addiction depuis longtemps installée au Japon, ce modèle qui fait peur. La clarification du paysage financier est toutefois un préalable : de nouvelles règles doivent être définies et l’incertitude doit cesser. Les régulateurs s’y attellent donc, afin d’établir de nouvelles marques pour ses intervenants.
Toute leur boîte à outil est scrutée par le Conseil de stabilité financière (FSB). Il propose aux autorités de chaque pays, en ouverture du G20 de St Petersbourg, de suivre ses recommandations à propos du marché des repos (pensions livrées) et de celui des fonds monétaires, pour lequel la Commission a fait connaitre ses propositions, des acteurs de la titrisation et des hedge funds de crédit, de l’encadrement des prêts de titre et des règles de gestion du collatéral, et enfin du recours à des véhicules hors bilan… Tel est l’inventaire sommaire d’un monde touffu et opaque où se financent à court terme les banques, leur nerf de la guerre en quelque sorte. Il fait désormais l’objet d’une revue de détail, suite à l’adoption de ratios mesurant le renforcement de leurs fonds propres et à une clarification portant sur les caractéristiques des instruments de dette éligibles à ce titre. Avec comme difficulté, sur tous ces chantiers, de définir des règles uniques dans un monde financier hétérogène et faisant preuve d’un lobbyisme intense en défense de ses prés carrés, ce qui promet pour l’avenir…
Au nom de la maitrise d’un risque systémique, insaisissable car inhérent à la nature du système financier, celui-ci va se trouver déplacé au gré de ce qui sera finalement décidé, porteur immanquablement d’un nouveau risque : tout simplement que l’objectif ne soit pas atteint. Redonner corps au système financier dans une configuration renforcée est un objectif peu vraisemblable au vu des mesures chimériques de régulation des banques qui ont été adoptées. En réclamant le remplacement de shadow banking (la finance de l’ombre), jugé péjoratif, par finance de marché, ses acteurs cherchent à acquérir des lettres de noblesse ; en se battant contre des mesures trop contraignantes, ils entraînent ce dernier dans sa perte, laissant entière la question : « comment concevoir un marché bien régulé ? ». Certainement pas en le laissant dans leurs mains.
Quid de la régulation du shadow banking, dans ces conditions ? Une bonne fée s’est déjà penchée sur lui dans le domaine très particulier mais fonctionnel de la gestion du collatéral (les actifs apportés en garantie), dont la pénurie est redoutée. Le Comité de Bâle a en conséquence diminué les contraintes à ce sujet pour les produits dérivés non compensés : leur palette est élargie, ils pourront être réutilisés une fois pour garantir une seconde transaction, les contrats à terme et les swaps de devises seront exonérés d’appels de marge… On ne s’en étonnera pas, le système ne doit pas être grippé, quitte à trouver des accommodements !