Billet invité.
Les évènements financiers qui secouent ces derniers jours la Chine sont lourds de conséquence pour l’économie mondiale qui n’en avait pas besoin. Le pays, dont la croissance était supposée tirer celle du monde, partage et subit la décélération enregistrée que ce dernier connaît. Les exportations ne progressent plus et il sera difficile de réaliser les 7,5% de prévision de croissance de cette année. Le grand marché mondial unique est atteint, la mondialisation est en panne et la multiplication des accords commerciaux bilatéraux ou régionaux ne relancera pas une croissance à l’élan brisé par la crise financière.
Les autorités chinoises avaient anticipé ses effets en ouvrant les vannes de la Banque populaire de Chine (BPOC), inondant de liquidités le système bancaire, avec comme intention la relance du marché intérieur en substitution aux exportations en baisse. Mais cela ne s’est pas passé ainsi. Au lieu d’amortir le choc provenant de la baisse des exportations, la masse de liquidités a alimenté une croissance effrénée du crédit finançant des réalisations faramineuses, notamment immobilières. L’inflation qui en a découlé a touché les prix des produits alimentaires de base, suscitant des mouvements sociaux et l’inquiétude des autorités.
Dans un premier temps, celles-ci se sont efforcées d’endiguer ce danger en augmentant classiquement, à plusieurs reprises, le montant des réserves obligatoires des banques à la banque centrale, afin de les inciter à restreindre le crédit. Mais rien n’y a fait, d’autant que le système bancaire parallèle s’était mis de la partie, lui même grossissant et florissant, empruntant aux grandes banques contrôlées par l’État pour contribuer à distribuer le crédit de manière incontrôlée. Insensiblement, l’État voyait son contrôle de l’activité financière s’amoindrir et la bulle financière gonfler, avec le risque de son brutal éclatement.
L’agence Fitch a dressé un tableau impressionnant, dont Ambrose Evans-Pritchard a rendu compte la semaine dernière dans le Daily Telegraph. En 5 ans, le ratio du crédit par rapport au PIB est passé de 75% à 200%, une progression sans précédent dans le monde entier. Le système bancaire informel, très opaque, contribue aujourd’hui à près de la moitié du crédit, selon ses estimations, et les banques du secteur formel sont exposées au défaut de ses acteurs informels pour leur avoir prêté des fonds importants. Les investissements ont généré des sur-capacités massives des moyens de production et de logements, affectant la valorisation de ces actifs sur lesquels repose au final la montagne des crédits accordés.
Un coup d’arrêt était impératif, dont la BPOC a été à nouveau chargée. Sur ordre, celle-ci a brusquement cessé de pallier la défaillance du marché interbancaire, dont le taux a alors explosé pour dépasser 25%, l’asséchant et étranglant des banques qui n’avaient plus confiance et ne se prêtaient plus entre elles. La BPOC est finalement intervenue, injectant 50 milliards de liquidités, une rude secousse étant intervenue. Toutefois, si la finance informelle s’est considérablement développée, l’État conserve sa maitrise des grandes banques et peut, comme il l’a déjà fait dans d’autres occasions, les renflouer via la BPOC. Un tel arrêt brutal n’est toutefois pas sans imprévus et des rumeurs circulent à propos du défaut d’un établissement bancaire et du renflouement d’un autre.
Les similitudes avec la crise du système bancaire des pays développés n’en restent pas moins frappantes. Arrêter des mesures exceptionnelles n’est pas chose simple, comme la Fed l’expérimente actuellement à sa manière, en raison de l’addiction créée. Mais cela ne s’arrête pas là, en raison de la rapidité avec laquelle l’endettement s’est développé et de l’apparition de produits de placement à haut rendement (des instruments qui n’apparaissent pas au bilan des banques et qui regroupent en particulier des prêts titrisés dans le secteur informel, d’après Fitch). L’agence de notation estime à l’équivalent en yuans de 1.600 milliards d’euros l’encours de ces produits, ce qui représente plus de 16% du total des dépôts bancaires chinois. L’endettement des structures de la finance informelle est pour moitié à court terme (trois à dix mois), et celles-ci risquent vite de ne pas pouvoir se refinancer auprès des banques et à faire défaut. À charge pour ces dernières d’encaisser le choc avec l’aide de la BOPC. Le retrait de grandes banques d’affaire américaines avait été un signal qui n’avait pas été perçu en dehors des milieux familiers avec la finance chinoise.
Que peut-il se passer ? La croissance de l’endettement, de plus en plus utilisé pour payer les intérêts des dettes précédentes, ne pouvait se poursuivre sans danger, mais le désendettement va être douloureux. Des difficultés supplémentaires d’accès au crédit sont à attendre. Chargeant le secteur financier informel, l’agence de presse Xinhua fait état d’une « mauvaise allocation des ressources » et de la nécessité que les liquidités servent désormais l’économie réelle et favorisent la croissance. Reste à le réaliser. L’enjeu va être la réduction du poids de ce secteur avec la fermeture du robinet du crédit bancaire officiel, pénalisant au passage les PME qui n’ont pas accès au crédit des grandes banques d’État, car il est dans les faits réservé aux grandes entreprises publiques. La relance a échoué et la baisse de la croissance économique – dont on ne connait pas la réalité, masquée par une comptabilité nationale à la fiabilité douteuse et aux chiffres politiques – va se poursuivre et atteindre d’avantage l’appareil productif, avec pour conséquence une baisse de l’emploi et des troubles sociaux accrus en prévision.
Que peut faire le régime s’il ne se décide pas à employer les grands moyens en engageant résolument la réorientation de l’activité économique en faveur du marché intérieur, en raison tant de ses divisions internes que des intérêts en jeu à préserver ? Peut-être n’assistons-nous qu’au premier acte, mais l’immobilisme peut aussi prévaloir. La nécessité de s’appuyer sur les mécanismes de marché – et non sur les investissements de l’État – pour relancer l’économie sur de nouvelles bases est en attendant toujours officiellement revendiquée (on se rappelle les appels au développement de l’industrie légère sans succès en URSS !). Car le rendement des investissements publics ne cessaient de décroitre au fur et à mesure qu’ils augmentaient, et la croissance diminuait tandis que les déséquilibres financiers s’approfondissaient. Li Keqiang, le premier ministre, vient à nouveau de déclarer : « il faut revitaliser l’investissement privé et la dépense grâce à la dérégulation et d’autres réformes ». Va-t-il mettre en place un filet de sécurité, étant donné les conséquences sur les travailleurs migrants de la diminution de la croissance ? C’est de toute façon la fin d’un modèle, sans que le suivant ne soit encore apparu.
Il ne faut pas s’y tromper : la crise chinoise a bien entendu des aspects spécifiques – tout comme l’américaine, l’européenne ou la japonaise – mais elle participe de l’instabilité chronique qui parcourt le monde dans son ensemble, étant donné leurs dépendances réciproques. À son tour, la Chine est entrée dans la crise de la dette, alors que la mondialisation n’est plus, même dans son cas, porteuse de la croissance d’antan. Les promesses de celles-ci ont tourné au désastre, sous l’impulsion du capitalisme financier.
Les dirigeants chinois, qui avaient agité le drapeau d’une réforme du système monétaire international (SMI), ne l’évoquent plus dans les grandes réunions internationales. Ils se contentent de préparer l’avenir en augmentant le poids du yuan dans les échanges commerciaux mondiaux – en particulier lorsqu’ils sont Sud/Sud – et d’accroître lentement sa convertibilité. Un premier accord européen de swap monétaire vient d’être signé entre la Chine et le Royaume-Uni, suite à une vingtaine d’autres. Les obstacles dressés à tout aggiornamento du SMI, même limité, reflètent le poids toujours déterminant des États-Unis, mais pour qui le temps joue-t-il ? Rien ne peut empêcher la poursuite de ce travail de sape.