Billet invité.
Un nouveau G8 se tiendra lundi et mardi en Ulster. Mais à quoi donc servent tous ces sommets qui se succèdent sans relâche et dans diverses formations, peut-on se demander ? En premier lieu à faire des annonces ronflantes rarement suivies d’effet, pourrait-on observer en revenant sur les précédents ! Somme toute, tout nouveau sommet aurait pour principale tâche d’escamoter les engagements non tenus de ceux à qui il succède !
Même David Cameron, qui le préside actuellement, est conscient de l’effet de lassitude de ces sommets à répétition et y a fait allusion. Chacun s’y rend afin de pouvoir bénéficier de la reconnaissance de ses pairs et déclarer avoir obtenu gain de cause. Les sommets sont de ces occasions où il ne faut pas rater de remporter des victoires (sauf dans les rares cas dramatisés où ils sont reconnus infructueux). Ils magnifient l’idée d’une gouvernance mondiale, dans toutes ses géométries, que la photo de famille et le communiqué final symbolisent. Car ils ont leur rituel, ce qui permet parfois d’y déroger, afin de renforcer la communication à leur sujet. Et puis c’est tout, ou presque.
Sous l’impulsion du premier ministre britannique, qui préside actuellement le G8, ce sommet-ci devait porter un coup fatal à l’évasion fiscale. Mais, comme il fallait un geste fort qui résonne dans l’actualité de la crise, le lancement des négociations de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne semble destiné à tenir ce rôle. Il fallait aussi un chiffre destiné à impressionner, ce sera celui de l’injection de 100 milliards d’euros dans l’économie mondiale, l’effet présumé de cet accord selon David Cameron. La concurrence va être sévère à ce sujet, José Manuel Barroso n’hésitant pas à évoquer, alors que l’accord n’est pas encore négocié, que les gains annuels seront de 120 milliards d’euros annuels pour l’Europe, et de préciser que cela représentera 545 euros par foyer européen, ce qui ne veut strictement rien dire. Qu’importe que les calculs à la base de ces chiffrages soient bien mystérieux et que présenter cet accord de libre-échange comme une importante contribution à la relance européenne est très optimiste, alors que seuls 12% du PIB européen sont réalisés à l’exportation et que sa négociation est prévue pour durer de longues années. Le mandat de négociation n’a pas été rendu public et des dossiers comme les OGM, les normes environnementales et sanitaires et les droits sociaux sont, parmi d’autres, au menu des négociations. Seule barrière, le parlement européen devra ratifier le document final (ou non).
Depuis que le cycle de Doha de l’OMC est en panne, les accords de libre-échange bilatéraux se multiplient. Sans qu’émerge aucune réflexion à propos des déséquilibres commerciaux, car elle déboucherait inévitablement sur la réforme du système monétaire international actuel. Tabou de plus, cette question a été enterrée après avoir été initialement soulevée au G20. Pour inévitablement rejaillir, mais quand ?
Se situant sur le même terrain, Shinzo Abe, le premier ministre japonais, va revendiquer, aux bons soins de la Banque du Japon, sa contribution à la relance économique, hasardeuse selon le FMI. François Hollande sera lui exaucé pour avoir réclamé un « message fort sur la croissance et l’emploi », et non pas des décisions, et fort modestement « des avancées » à propos de l’évasion fiscale.
C’est bien le moins que l’on peut attendre du G8, après avoir entendu David Cameron claironner qu’il faut « mettre fin aux entreprises opaques enregistrées dans des lieux opaques » et « abattre les murs du secret bancaire », ou bien François Hollande annoncer une seconde fois « l’éradication des paradis fiscaux ». La création d’un système multilatéral d’échange d’information automatique va être préconisée, qu’il va falloir ensuite concrétiser, mais qu’en sera-t-il des propositions britanniques de centraliser l’enregistrement des entreprises dans l’ombre (« shadowy companies ») afin d’en connaître les propriétaires, le flou entretenu sur les trusts qui ne sont pas expressément visés ? David Cameron a par ailleurs obtenu de dix territoires britanniques d’outre-mer et dépendances de la Couronne de participer au futur système d’échange, mais le ministre en chef d’Anguilla (15.000 habitants) a fait remarquer, amer : « C’est une vraie hypocrisie, si l’on considère la City de Londres. Ils devraient faire quelque chose à son encontre en premier et ne pas se cacher derrière les petits territoires qui tentent juste de survivre ».
L’optimisation fiscale des entreprises sera également évoquée, tout du moins dans le communiqué final, en faisant référence aux propositions de l’OCDE intitulées « Lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices ». Le montant estimé par l’OCDE des bénéfices non rapatriés aux États-Unis ou au sein de l’Union européenne est faramineux, à la mesure de l’intérêt qu’y portent les chefs d’État et de gouvernement en ces temps de disette budgétaire.
La renégociation des quelques 3.000 conventions budgétaires existantes pouvant prendre plus de dix ans, l’OCDE préconise l’adoption d’une convention multilatérale. Combien de temps prendra toutefois la rédaction de celle-ci, étant donné la diversité et la complexité des questions qui devront être abordées ? Comme toujours en matière financière, le diable sera dans les détails lorsqu’il faudra aborder la question des prix de transfert ou définir la notion d’établissement stable (qui permet de déterminer le pays d’imposition), ou bien encore établir des règles concernant la localisation des actifs incorporels (comme le sont les marques et les brevets).
A l’ordre du jour et réclamant des clarifications depuis tant de temps attendues, la guerre civile syrienne risque d’éclipser toutes les autres questions…