Billet invité
Pour la troisième semaine consécutive, la bourse de Tokyo vient de plonger, cette fois-ci de près de 4 %. Les corrections se succèdent après six mois d’embellie. Depuis la mi-novembre, lors de la dissolution de la chambre des députés qui avait préludé au retour au pouvoir de Shinzo Abe, le Nikkei avait bondi de 80 %. Car cela augurait de l’ouverture des vannes par la Banque du Japon, qui était espérée. Celles-ci l’ont bien été depuis, mais la bourse a perdu depuis le 23 mai près de 17 %, ce qui ne peut être assimilé à une correction technique. Ironie du sort, c’est un discours du premier ministre lui-même qui en a été hier mercredi la cause directe, n’ayant visiblement pas convaincu.
Après avoir décoché une première « flèche budgétaire » avec le lancement d’un programme de grands travaux financés par un endettement supplémentaire, Shinzo Abe a obtenu de la Banque du Japon (BoJ) qu’elle décoche la seconde, la « flèche monétaire ». Il s’est hier adressé au secteur privé, pour lui demander de prendre son tour afin de favoriser la reprise. Selon ses termes, de « faire exploser son dynamisme ». La tonalité de ses propos n’est pas surprenante : « la dérégulation est au départ et au cœur des stratégies de croissance », afin de lever les obstacles à l’investissement et au développement. Que ce soit en Europe ou au Japon, c’est la même histoire, qui procède d’une sorte d’acte de foi.
Pourtant, la réponse des investisseurs n’a pas été conforme aux attentes, s’en tenant à utiliser les liquidités de la BoJ sur les marchés financiers plutôt que d’investir dans l’économie. Elle justifie l’avertissement du FMI, selon lequel les risques sont « considérables ». Appelant lui aussi à des « réformes structurelles » et soulignant que l’enjeu est d’aboutir à la relance des investissements privés, faute de quoi la reprise ne pourrait pas intervenir et l’inflation repartir. Un discours qui décidément nous rappelle quelque chose, accréditant l’idée que l’économie européenne n’est pas loin de connaître le même sort que celle du Japon, puisque les mêmes remèdes s’y appliquent.
La liste ne serait pas complète s’il n’était également fait mention par le FMI de la nécessité de « mesures budgétaires concrètes pour réduire la dette publique ». Leur absence ou « le report de la hausse de la taxe sur la consommation augmenteraient le risque d’une augmentation des taux d’intérêt des obligations d’État, ce qui saperait la stabilité budgétaire et financière ». En d’autres termes, ce serait le commencement de la fin, un processus déjà bien entamé : la dette japonaise est de 230 % du PIB, un record absolu, ce qui ne pardonnerait pas. Les banques japonaises, ainsi que la Banque du Japon, sont les principales détentrices de la dette, et les Japonais en détiennent une partie significative. Ces derniers seraient atteints si les taux augmentaient fortement, et la valeur des titres baissait en conséquence, les banques japonaises devraient renforcer leurs fonds propres et la Banque du Japon demander à l’État, son actionnaire, d’y pourvoir également, ce dont il serait incapable.
L’économie mondiale pourrait entrer dans « une phase plus difficile » vient de déclarer Christine Lagarde, directrice général du FMI. « Des tendances plus sombres se font jour. De récentes données suggèrent par exemple un certain ralentissement de la croissance » a-t-elle constaté. À cet égard, la zone euro est selon elle « la principale source d’inquiétude ». Que ne dirige-t-elle pas également son regard vers le Japon !