Billet invité.
La pensée économique dominante est une pensée affligeante : elle s’arrête là où la réflexion commence. Son mantra est la recherche de la compétitivité – qui ferait défaut à l’Europe – avec laquelle il serait renoué en baissant le coût du travail. Une histoire de moins-disant auquel se conformer qui n’a pas de vraisemblance : l’idée implicite selon laquelle les salaires des pays émergés montant, ceux des pays avancés atteindraient leur même niveau en baissant est un mauvais conte pour enfant. La proposition que la baisse du coût du travail augmenterait la marge de profit serait plus honnête.
En tout état de cause, l’objectif serait de reconquérir des marchés. Mais lesquels ? en produisant quoi ? en concurrence avec qui ? Autant de questions auxquelles il faudrait également répondre si des moyens financiers étaient sur la table. L’impasse est faite sur rien moins que l’émergence de nouvelles puissances économiques, car l’ultime rempart que l’on pensait inexpugnable est tombé : il n’y a pas d’avantage technologique qui tienne dans le cadre de la globalisation, pas d’avancée garantissant le maintien à terme de la production dans les secteurs de pointe. Le monde a basculé, et ce n’est pas fini.
Un rééquilibrage mondial serait réaliste, mais il impliquerait de s’appuyer prioritairement sur le développement des marchés intérieurs, aussi bien dans les pays qui émergent que dans les autres, mais c’est tout le contraire qui est préconisé pour ces derniers, désendettement oblige. Partout, le salut est à l’export, un programme dont on peut dans ces conditions douter. Et quand il est préconisé avec plus de réalisme de réorienter l’économie, comme en Chine, les avantages acquis l’empêchent. On ne réoriente pas une économie de cette taille aussi aisément.
Nos penseurs auraient bien une autre occasion d’exercer leurs talents, mais ils la gâchent tout autant. L’OCDE le relève et le FMI le déplore : les inégalités dans la distribution de la richesse se poursuivent et même s’accélèrent. Mais, au chapitre des mécanismes qui en sont la cause, les explications tournent court, seuls des vœux pieux sont formulés. Pire, il est admis comme inévitable que la réduction des dépenses sociales va continuer de produire les mêmes effets. La concentration de la richesse s’accroît, tout comme la pauvreté, et entre les deux se situe ce grand marais des classes moyennes qui s’élargit dans les pays émergés et s’effrite dans les autres.
La « générosité des aides sociales » n’est plus ce qu’elle était et « le taux d’imposition sur les revenus, notamment sur les tranches supérieures, a été réduit », vient de constater navrée Christine Lagarde, qui préconise en contrepartie de lutter contre l’évasion fiscale et de réduire les exemptions d’impôts… Un bon début qui, s’il intervenait, ne serait pas en mesure d’enrayer la machine à fabriquer de l’inégalité et encore moins d’en réparer les dégâts.
Nos visionnaires martèlent la nécessité de leur programme de réformes structurelles libérales destinées à s’en remettre davantage au marché, l’ouverture à la concurrence dans les transports ferroviaires et l’énergie électrique, la diminution de la charge des retraites et la flexibilité de la réglementation du travail. Ils préfèrent ne pas voir que le déséquilibre commercial qu’ils voudraient résorber et l’accentuation des inégalités qu’ils ne font que constater sont liés entre eux. La mondialisation financière a comme conséquence directe l’accaparement de la richesse, avec comme seule nouveauté que le fossé ne se creuse plus entre le Nord et le Sud, entre pays développés et pauvres, mais au sein des uns comme des autres.