Billet invité.
Trois blocages dominent le panorama de l’économie mondiale. Le plus connu est celui que subit une Europe engagée sur une voie de désendettement promettant à la zone euro une récession de longue durée, voire à sa désagrégation au train où vont les derniers développements. Dans un contexte fort différent, les États-Unis bénéficient d’une intervention massive en continu de leur banque centrale qui maintient le pays le nez hors de l’eau. La Chine, enfin, enregistre la poursuite de la dégradation de sa croissance sans parvenir à réorienter son activité économique en faveur du développement de son marché intérieur. L’ensemble ne crée aucune dynamique de sortie de crise.
En Europe, la Bundesbank et le gouvernement allemand s’opposent de plus en plus ouvertement aux intervention de la BCE. Jens Weidmann réclame une hausse des taux d’intérêt et Wolfgang Schäuble critique en privé auprès de députés de la CDU – selon Der Spiegel – l’achat éventuel par celle-ci de produits de titrisation de prêts bancaires aux entreprises (des ABS). Incapables de formuler une politique alternative et de constituer un bloc, les autres gouvernements européens ne réclament qu’un assouplissement de la politique imposée par le gouvernement allemand, dont les effets seront simplement étalés dans le temps. L’union bancaire est désormais présentée en deux temps par le ministre allemand, renvoyant au second tout mécanisme européen de financement et laissant à chaque pays le poids financier du renflouement de ses banques. On est revenu à la case départ. Toutes les portes se sont les unes après les autres soigneusement fermées.
Aux États-Unis, le débat se poursuit à propos du risque de bulle financière (en réalité déjà constituée) créée par les injections mensuelles de la Fed de 85 milliards de dollars, qui s’additionnent à celles de la Banque du Japon. Il rebondit dans le cadre de la fin de mandat de Ben Bernanke et de son éventuelle succession par Janet Yellen, la vice-présidente, soupçonnée de privilégier la lutte contre le chômage à celle contre l’inflation. D’autres candidats sont en embuscade, n’apportant pas de clarification à la politique qui devrait être suivie, désormais marquée par l’application du programme de coupes budgétaires automatiques, démocrates et républicains campant sur leurs positions respectives avec comme avantage de se dégager de leurs responsabilités, s’en remettant à un mécanisme sur lequel ils n’ont plus de prise qu’à la marge, pour préserver le contrôle aérien civil par exemple.
Illustration des limites dans lesquelles le débat s’inscrit, la sénatrice Elizabeth Warren, personnalité pugnace et respectable, vient de lancer une pétition en appui à sa proposition de soutien gouvernemental à la baisse des taux des prêts étudiant. Pourquoi ceux-ci seraient-ils plus élevés que ceux dont les banques bénéficient auprès de la Fed, fait-elle remarquer, alors qu’ils sont en phase de hausse prononcée ? Aux États-Unis, le blocage est l’opposé de celui qui sévit en Europe : hors de la Fed, point de salut ! Hier, il était constaté que la dette américaine ne pouvait pas continuer à croître indéfiniment et qu’il fallait faire quelque chose. Aujourd’hui, les coupes budgétaires automatiques et l’implication permanente de la Fed tentent d’y pourvoir, mais est-ce durable ?
Les statistiques du Bureau national des statistiques chinois font état du ralentissement qui se poursuit d’une croissance ayant perdu sa dynamique. L’investissement n’est plus le moteur qu’il était, la demande extérieure subit les contrecoups de la crise mondiale et la demande interne n’est pas stimulée. Les promesses de réforme ne se traduisent pas dans les faits et n’assurent pas le relais. La croissance effrénée de la finance informelle témoigne cependant d’une vitalité économique à laquelle les banques nationales ne répondent pas, leur activité de crédit orientée vers le secteur nationalisé et les grandes collectivités. Deux systèmes financiers coexistent et la constitution d’une énorme bulle de crédit à la taille difficile à apprécier en est le principal résultat. La formule de Den Xiaoping : « Un pays, deux systèmes », a trouvé son accomplissement. Selon Moody’s, les prêts informels, notamment aux petites entreprises, ont augmenté de 70% ces deux dernières années et représentent tout confondu l’équivalent de 55% du PIB du pays ! La croissance économique emprunte de curieux détours, sans que l’on sache bien ce qui est effectivement mesuré et ce qui peut en résulter.
Le modèle de développement chinois est à bout de souffle, tout comme celui des pays avancés qui reposait sur le bon fonctionnement de la machine à accorder du crédit. Les obstacles ne sont pas les mêmes ici et là, mais leur effet pèse de manière identique sur la croissance économique. Sans élaboration et mise en application d’autres modèles, cette croissance invoquée ne repartira pas comme avant. Un instant engagée, la réflexion sur sa nature – clé de son renouveau – s’est brutalement arrêtée. Les banques centrales sont rivées à leur politique accommodante et leurs mesures non conventionnelles, le temps passe et de nouveaux nuages menaçants se profilent à l’horizon. Mais interrompre leur assistance n’est pas non plus une solution… En restant dans le cadre, il n’y a pas de salut, la croissance aussi sera non conventionnelle !