Billet invité.
Comment éviter le retour d’une phase aigüe de la crise du désendettement ? C’est tout le problème auquel les dirigeants européens sont confrontés, après avoir pratiquement abandonné toute autre ambition. Ils savent que ni la croissance ni l’inflation ne viendront faciliter le désendettement sur lequel ils peinent mais qu’il doivent se méfier des effets de la crise sociale qu’ils ont enclenchée et du danger populiste qu’ils craignent. Ne pouvant envisager une mutualisation européenne de la dette publique, et encore moins sa restructuration, ils s’accommodent comme un moindre mal d’une lente immersion dans la récession. Contenir à tout prix la crise – qu’elle s’exprime par un nouveau dérapage du désendettement public ou privé – est le seul objectif qu’ils se sont désormais fixés. Car en sortir, ils ne s’en donnent pas les moyens.
L’accalmie enregistrée sur le marché obligataire est pour eux une aubaine, leur permettant d’avancer sur l’autre volet du désendettement, celui des banques qui se rappellent à leur bon souvenir. Et ils se disent avoir trouvé avec le modèle chypriote une méthode permettant de régler les prochaines crises bancaires sans avoir à procéder à une mutualisation de l’effort financier, une fois la BCE aux manettes de la supervision bancaire et ayant dressé un état des lieux plus convaincant que les stress tests de mauvaise mémoire. Ils comptent aussi beaucoup sur celle-ci, qui peine à ce sujet, pour relancer le crédit aux entreprises des pays du Sud de l’Europe et éviter l’effondrement d’économies auquel ils ont avec leurs exigences largement contribué. Plusieurs options sont sur la table, mais qui va assumer le risque de crédit ? La BCE peut difficilement s’esquiver pour que l’affaire ait du poids, mais elle est divisée.
Deux ans ont été accordés au gouvernement français pour atteindre ses objectifs de réduction du déficit et poursuivre ses réformes structurelles, suscitant en Allemagne une vive réaction négative de ceux qui ne comprennent pas que le couple franco-allemand n’ait pas les moyens de se séparer. Intransigeant gardien du Temple, Jens Weidmann de la Bundesbank ne peut que mettre en garde contre toute exploitation de la nouvelle flexibilité des règles de réduction du déficit. Afin de se rattraper de ses largesses, la Commission a précisé trois recommandations au gouvernement français qui valent injonctions : assurer le financement des retraites, accélérer la libéralisation du transport ferroviaire et de l’électricité et diminuer le coût du travail pour améliorer la compétitivité. Liant, on se demande par quel mécanisme économique, les effets de ces réformes structurelles à la diminution en deux années du déficit. José Manuel Barroso n’a pas éclairci cette question en expliquant doctement dans L’Express que « les pays où la dette s’est envolée sont ceux où le coût unitaire du travail a le plus augmenté », dans le but de démontrer qu’à l’inverse la diminution de ce coût aboutira à la réduction de la dette…
Sur quoi les dirigeants sont-ils avant tout divisés ? Les uns souhaitent par pragmatisme lever le pied sur les réformes et les coupes budgétaires, les autres continuent de leur accorder une importance décisive au nom de leur croyance doctrinaire. Mais la crise européenne se poursuit pendant ce temps selon sa propre logique, plus particulièrement en Espagne et en Italie, là où les enjeux se cristallisent et où l’accalmie est la plus trompeuse. Dans les deux cas, la détérioration de la situation se révèle de jour en jour plus forte. Le système bancaire espagnol est plus durement atteint que des expertises accommodantes ne l’ont établi (non sans conséquences pour l’économie), et l’économie italienne est nettement plus affaiblie qu’admis (non sans conséquences sur les banques), toute l’attention ayant été accaparée par le passage éclairé aux affaires de Mario Monti, dont le bilan économique se révèle sombre.
Rien n’a changé, l’état réel du système bancaire est toujours occulté. Dans le meilleur des cas il est admis, là où c’est le plus criant comme en Espagne, que c’est le problème principal. Mais son état – que l’on peut seulement soupçonner étant donné le silence assourdissant qui enveloppe la question – est partout nettement dégradé, fruit combiné des errements du passé et des conséquences actuelles de la récession. Et pourtant, les banques italiennes – auxquelles leur consœurs françaises sont particulièrement exposées – sont totalement dépendantes de la BCE pour se financer. La vérité n’est pas bonne à dire : au sein de la zone euro, les besoins de recapitalisation des banques s’expriment en centaines de milliard d’euros et ne sont pas à leur portée, impliquant de continuer à masquer leur état réel.
Délivrant comme à l’habitude une analyse sans complaisance , Willem Buiter, l’économiste en chef de Citigroup, explique dans le Financial Times que « la récession est causée par un endettement excessif : des banques zombies dans toute l’Union européenne, de la dette souveraine et des déficits excessifs dans les pays de la périphérie, et des ménages dans de nombreux pays ». Le titre de son article résume son propos incisif : « La crise de l’euro exige la restructuration rapide de la dette ». Mais c’est le chemin opposé qui a été emprunté.
La promesse a été faite qu’il faudra dix ans pour en atteindre le bout. Incorrigibles visionnaires conformistes qui hier voyaient déjà apparaître des pousses vertes et aujourd’hui repoussent à plus tard la sortie de crise, faute d’en trouver la porte. Qu’importent les délais pourvu que tout redevienne comme avant, se disent-ils !
——-
Le titre « Fausse route ! » a déjà été utilisé le 26 août dernier pour une chronique sélectionnée dans : « LA CRISE N’EST PAS UNE FATALITÉ », Vente en ligne ici.