L'actualité de demain : LA RANÇON DE LA GLOBALISATION , par François Leclerc

Billet invité

Accaparés par nos affaires européennes, en viendrions-nous à oublier celles du monde, en l’occurrence du Japon qui y fait écho ? La décision de la Banque du Japon (BoJ) d’acheter – pour commencer – mille milliards de dollars de titres de la dette japonaise illustre à la fois une situation économique globale marquée par la récession et à la déflation derrière – et dans le cas japonais par l’impossibilité d’en sortir – ainsi que par l’implication grandissante des banques centrales dans le fonctionnement du système financier, les conduisant à jouer un rôle fonctionnel pivot sans savoir quand et comment elles pourront le quitter.

Il a été fait mine de s’offusquer d’une décision ayant tout de la dévaluation compétitive, en réponse à celle du dollar, mais les ministres des finances du G20 ont finalement préféré éviter ce terrain délicat et s’en tenir à la version du gouvernement japonais, selon laquelle l’objet de la création monétaire entreprise à son instigation était de lutter contre la déflation (en réalité, les deux objectifs sont poursuivis).

Le gouvernement japonais a donc libre cours, se donnant deux ans pour réussir ! Mais sa décision est lourde de conséquences. En premier lieu pour le pays, car sa facture énergétique, déjà alourdie par l’arrêt des centrales nucléaires et l’importation de combustible de substitution pour ses centrales thermiques, va voir son coût encore augmenté par le changement de parité du yen par rapport au dollar. Mais le plus grand danger proviendra de l’inflation que l’augmentation de la masse monétaire est susceptible de susciter, avec non seulement pour effet d’éroder les pensions d’une population déjà vieillissante et contribuant de moins en moins à les financer, mais également de peser très fort sur les taux d’intérêt d’une dette publique sans équivalent, dont le service finirait d’après les calculs par absorber les trois quarts des recettes budgétaires annuelles… L’équation japonaise est ce qui se fait de pire dans ces deux domaines.

Les achats de la dette nationale par la BoJ pourront amortir le phénomène, mais les banques et les compagnies d’assurance seront incitées à vendre leurs titres de la dette, dont la valeur diminuera quand ses taux augmenteront, avec un effet contraire : les titres iront sur le marché. Ces achats de la BoJ se feront au détriment des acquisitions de bons du Trésor américain, dont le Japon est devenu le premier client. Enfin, par ricochet, la dévaluation compétitive du yen va atteindre les économies exportatrices – dont l’Allemagne, Taïwan et la Corée du Sud – victimes d’une guerre des monnaies qui n’a pas cessé de sévir. Depuis octobre dernier, le yen a ainsi perdu 20 % par rapport à l’euro.

Le Groupe des vingt-quatre (G24), qui réunit les pays émergés et en voie de développement, a demandé dans le vide à Washington à ce que soient prises en considération les retombées négatives « de la prolongation de politiques monétaires non conventionnelles, entre autres sur l’inflation et la volatilité des flux de capitaux et des prix des matières premières ». Mais réduire ces phénomènes reviendrait à restreindre le terrain de la spéculation financière, notamment le carry trade (*), grâce auquel se constituent les grosses fortunes et parfois les grandes débâcles.

En dépit des proclamations, le chacun pour soi l’emporte. Mais dans une économie globalisée, ce refuge n’en est plus un, car les mesures prises pour s’en sortir ont comme effet de plonger les partenaires commerciaux dans de nouveaux embarras. Une constatation qui n’empêche pas cette solution de prévaloir. Ainsi, la Fed et le gouvernement américain freinent l’introduction de la réglementation Bâle III dans le but de donner aux banques américaines un avantage compétitif sur leurs consœurs européennes, tout en leur procurant toutes les liquidités pour spéculer.

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(*) Dont le principe est de s’endetter dans une devise à faible taux d’intérêt pour placer les fonds empruntés dans une devise aux taux d’intérêt plus élevé.