Billet invité
Alors que les banques chypriotes qui devaient rouvrir aujourd’hui sont restées portes closes, de peur d’une déstabilisation fatale de la Bank of Cyprus (très vulnérable aux retraits des fonds des entreprises russes férues d’optimisation fiscale), l’interview accordée au Financial Times et à Reuters par Jeroen Dijsselbloem, le nouveau chef de file de l’Eurogroupe, n’e finit pas de faire des vagues. Décidément, quand tout part en crabe, qu’il est difficile de redresser la barre ! Après avoir décidé de taxer sans restriction tous les dépôts bancaires, un nouveau chiffon rouge a été agité : les banques ne doivent plus être secourues sur fonds publics, a-t-il en substance assené. Avant de revenir précipitamment sur sa déclaration, au vu de la réaction des marchés, en expliquant que Chypre était « un cas spécifique ».
Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, l’a ouvertement contredit, parmi d’autres, en faisant valoir que Chypre est « une place financière offshore qui n’existe pas ailleurs dans la zone euro » et que ce sauvetage était donc « un cas unique »… L’argumentation vaut ce qu’elle vaut mais ne pouvait empêcher que le mal soit fait, pour la seconde fois… Interrogé le soir même par la télévision néerlandaise pour savoir s’il était prêt à tenir à nouveau les mêmes propos, Jeroen Dijsselbloem répondait d’ailleurs « oui » !
Sa déclaration ne résulte donc pas d’une « erreur de communication » – sous-entendu : il ne faut pas en parler – mais représente la confirmation d’un véritable tournant dont des signaux étaient déjà perceptibles, avant même le sauvetage de Chypre. Non seulement en Espagne, mais également au Pays-Bas, à l’occasion de la nationalisation du groupe financier SNS, sous les auspices… d’un certain Jeroen Dijsselbloem dans ses fonctions de ministre des finances néerlandais.
Si le virage est bien engagé, on n’en voit pas clairement la fin. Chantal Hugues, la porte-parole du commissaire européen Michel Barnier, a plaidé sa cause : « il ne faut pas dire que ce sauvetage est un modèle parfait, ou qu’il faudrait le réutiliser à l’avenir. Parce qu’on ne devrait pas se retrouver dans de telles circonstances avec notre système d’union bancaire intégré ». Pour ensuite faire valoir que la « boîte à outils » du projet de l’union bancaire européenne permettra « d’intervenir de manière précoce ou de résoudre la faillite d’une banque ». Une issue que les dirigeants allemands, qui ne veulent pas entendre parler d’une implication du MES dans un quelconque renflouement bancaire, ne voient pas davantage d’un très bon œil si l’on s’en tient au rythme auquel les travaux progressent…
Le premier ministre finlandais a bien de son côté demandé que le projet avance, en déclarant : « Partout en Europe nous devrions passer à une économie de marché normale, où les propriétaires et les investisseurs accusent des pertes en cas de débâcle d’une banque ». Mais la référence doctrinale sera-t-elle d’un quelconque secours afin d’aboutir ? Faire payer les actionnaires et créanciers des banques sans union bancaire achevée est-il vraiment jouable ?
Quels vont être en attendant les conséquences de l’écart de langage de Jeroen Dijsselbloem, coupable d’avoir dit tout haut ce qui se pratique déjà et qui pourrait être renouvelé ? La relance possible des transferts transfrontaliers de fonds au départ des pays où le modèle chypriote pourrait faire école, les réticences des investisseurs à financer les établissements bancaires, qu’ils vont faire payer par des taux plus élevés, et une nouvelle diminution de l’encours des crédits aux entreprises dans les pays dont les banques sont exposées à cette sanction. En résumé, une aggravation des déséquilibres au sein de la zone euro. Une réussite qui montre à nouveau que la crise, décidément, est alimentée par sa propre dynamique interne.
Apportant bien à propos son éclairage, le FMI vient de faire part de ses inquiétudes à propos des banques italiennes, car « la récession se traduit par une faible rentabilité des banques et une dégradation de la qualité des prêts », les menaces les plus fortes pesant sur les banques détenant une grande quantité de titres de dette italienne, car elles « restent exposées à des pertes et à des coûts de financement plus élevés si le rendement des obligations du Trésor italien augmente de manière importante ».
À Chypre, où la tension monte, les autorités tentent d’éviter l’effondrement de la Cyprus Bank, qui mettrait par terre le lego financier de la restructuration des deux principales banques du pays, qui représentent 80 % de ses avoirs bancaires. Ce qui induit deux questions : les mesures de gel de capitaux que l’on ne connaît toujours pas seront-elles efficaces, et quand pourront-elles être levées ? Le modèle chypriote n’est-il pas en train de se disloquer, à peine mis au point et pas encore en place ? Décidément, le chef de file de l’Eurogroupe joue avec le feu à vouloir dire une vérité qui ne peut être reconnue !
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VIENT DE PARAITRE : « LA CRISE N’EST PAS UNE FATALITÉ » – 280 pages, 13 €.