Billet invité.
La roue serait-elle en train de tourner ? « Retirer le risque du secteur financier et le reporter sur les épaules du public n’est pas la bonne approche », a déclaré le ministre des finances néerlandais, Jeroen Dijsselbloem, le successeur de Jean-Claude Juncker à la tête de l’Eurogroupe, ajoutant que l’objectif devrait être de ne pas utiliser les fonds du mécanisme européen de stabilité (MES) pour recapitaliser les banques, une position que partagent les dirigeants allemands. Comme le titre le Financial Times, qui publie ces propos : « Chypre va être le modèle des prochains sauvetages bancaires ».
Le sauvetage de Chypre a été l’occasion de le mettre en évidence, mais le mouvement avait commencé en Espagne. Les actionnaires et les créanciers des banques du pays pris dans la tourmente – tout le secteur des caixas – vont également être mis à contribution dans le cadre de la restructuration du secteur bancaire qui est engagée. Décidément, nous entrons dans une nouvelle période : il n’est plus possible d’épargner les investisseurs car les États sont à fond de cale et la solidarité financière européenne est a minima. L’union bancaire qui devait en être l’une des expressions est bloquée, faisant des sauvetages des banques de véritables casse-têtes, conduisant à se retourner vers leurs actionnaires et créanciers, y compris les déposants.
L’échec de la vente de Catalunya Banc SA a imposé d’en arriver là en Espagne. Dans le cas de Bankia, la plus importante des banques nationalisées, des opérations financières en cascade assorties d’une injection de fonds de 10 milliards d’euros du Frob (le fonds de soutien aux banques), vont avoir comme effet la dilution des actions dont les détenteurs vont perdre quasiment tout, tandis que les créanciers juniors subiront eux une décote de 30%. Pour les détenteurs d’actions privilégiées, la perte sera de 61% pour Catalunya Banc, 50% pour Banco Gallego et 43% dans le cas de NGC Banco.
Les petits déposants ont finalement été épargnés à Chypre (en attendant les effets de la rigueur budgétaire), mais cela n’est pas le cas des petits épargnants espagnols, très souvent des retraités. Pour eux, aucun gant n’a pas été pris quand il a été décidé par les autorités européennes de financer à moindre coût (40 milliards d’euros) la restructuration du système bancaire espagnol, et de faire plonger les détenteurs de titres « préférentiels ». Assortis de rémunérations attractives, ceux-ci avaient été émis par les banques dès 2008, devant la nécessité de gonfler d’urgence leurs fonds propres. Or leur valeur a depuis fondu.
Combien y a-t-il de détenteurs de ces titres et pour quels montants ? Selon les chiffres officiels, 22 milliards d’euros de ces titres auraient été recensés en mai 2011 comme étant aux mains de petits porteurs. Mais d’après l’Adicae, une association de défense des petits actionnaires, près d’un million de familles seraient détentrices d’environ 30 milliards d’euros de ce ceux-ci. Des milliers de plaintes ont été déposées, peu avec succès. Un arbitrage est envisagé, mais le gouvernement en a réduit au maximum la portée : de 1,5 à 2 milliards d’euros vont être remboursés via le Frob (le fonds de garantie des banques), afin de protéger les épargnants « les plus vulnérables ». C’est tout.
Les modalités de restructuration des banques espagnoles le montrent : le désendettement n’est pas dans les moyens des États, malgré tout ce qui a été prétendu. L’effet levier auquel les banques sont parvenues en utilisant les ficelles de la spéculation est tel que leurs créanciers et actionnaires ne sont pas non plus nécessairement en mesure de faire face à leur engagements ! Intéressante situation qui impose de tailler dans le vif, comme on le voit, c’est à dire de puiser jusque dans les réserves de la banque de l’ombre, ce qui a été le cas à Chypre. Voilà où ils en sont.