Billet invité, paru dans « L’Humanité-Dimanche » (21 au 28 mars).
Les États tirant la langue pour réduire leur déficit et le scandale ayant pris trop d’ampleur, l’OCDE vient de remettre aux ministres du G20 réunis en fin de semaine dernière à Moscou un rapport à propos d’une évasion fiscale d’ampleur colossale dont l’appellation toute anodine est « optimisation fiscale ». Un plan d’action global est promis pour cet été, afin de « lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices » des grandes entreprises transnationales (car tel est le titre du rapport). Angel Gurría, le secrétaire général de l’organisation, a reconnu que « bien que techniquement licites, ces stratégies sapent la base d’imposition de nombreux pays et menacent la stabilité du système international ». Pourtant installé de longue date et éprouvé, le mécanisme semble en être découvert seulement maintenant : « Certaines d’entre elles [les entreprises], situées dans des pays à fiscalité élevée, créent de nombreuses filiales ou sociétés de façade à l’étranger, en tirant systématiquement parti des allégements fiscaux qui y sont offerts. Par ailleurs, elles comptabilisent leurs dépenses et leurs pertes dans des juridictions fortement taxées et déclarent leurs bénéfices dans des juridictions à taux d’imposition faible ou nul ».
Il faut dire que les révélations se sont dernièrement succédées. Des cas spectaculaires de l’industrie numérique ont émergé, des montants impressionnants circulent, illustrant les comportements des grandes sociétés qui procèdent selon des techniques sophistiquées, sans besoin de porteurs de valise pour traverser les frontières. Aux États-Unis, il est question d’une très grosse cassette de 1.700 milliards de dollars, selon le Wall Street Journal qui vient de publier une enquête. Celle-ci montre comment de grandes compagnies américaines comme Google et Microsoft utilisent les ficelles d’une réglementation fiscale nationale qui leur permet de rapatrier les bénéfices de leurs filiales étrangères dans des banques américaines afin de ne payer nulle part l’impôt.
Les entreprises utilisent des terrains d’accueil complaisants pour y transférer leurs profits sous couvert de prix de transfert, de royalties et de conventions de gestion entre filiales et maisons mère, toute une cuisine qui n’a d’autre objet que de se soustraire à l’impôt en se plaçant sous des juridictions complaisantes. Les techniques utilisées portent des noms évocateurs comme « sandwich néerlandais », en référence aux facilités offerte par les Pays-Bas, et ce sont des milliers de milliards de dollars qui valsent sans être imposés, ou si peu, selon l’agence d’information financière américaine Bloomberg, atterrissant par exemple dans le cas de Google dans des sociétés de droit irlandais domiciliées aux Bermudes, via les Pays-Bas.
Tous ces montages et transferts sont légaux, visant à placer les pertes et les profits là où c’est le plus fiscalement avantageux. Des cabinets conseils renommés comme Ernst&Young, Deloitte, KPMG, ou Baker&Mckenzie (où l’actuelle directrice du FMI, Christine Lagarde a longtemps exercé ses talents) dispensent leurs onéreux services. En France, un rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale donne un éclairage qui résume tout : les entreprises du CAC 40 ont dans la période 2007-2009 annuellement distribué en moyenne 37,5 milliards d’euros par an de dividendes, mais seulement payé 3,5 milliards d’euros d’impôts sur les bénéfices, soit moins d’un dixième.
Mais il y a fort à faire pour redresser la barre. Les entreprises utilisent des failles existantes entre les quelques 3.000 conventions fiscales bilatérales entre les États ! Et chaque État reste maître de ses dispositions fiscales propres. Le risque est grand qu’il en soit de la lutte contre « l’optimisation fiscale » comme il en a été de celle contre les « paradis fiscaux », et que « l’intégrité du système fiscal mondial » dont l’OCDE se prévaut soit de la revue, une fois le temps des rodomontades passé. La farce de la liste des « juridictions non coopératives » vidée à coup de conventions entre elles-mêmes est encore présente dans tous les esprits.
2 réponses sur “LA GRANDE ÉVASION FISCALE, par François Leclerc”
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