Billet invité.
Il est souvent instructif de se plonger dans ces gros rapports en accès libre que les analystes financiers utilisent comme vitrines pour justifier de leur savoir-faire et de leur intelligence de l’avenir. Cela a été le cas avec celui de Bain & Co, l’un des grands consultants financiers internationaux, qui analyse l’origine et les conséquences de la croissance prévisible du capital et en offre une vision saisissante.
Lisons-le : le volume mondial global des actifs financiers pourrait en 2020 atteindre 900.000 milliards de dollars (à prix et taux de change constants), après avoir été en 2010 de 600.000 milliards de dollars, soit une progression prévisionnelle de 50% durant la décennie en cours. Le coût peu élevé du crédit (surtout en ces temps de politique monétaire non conventionnelle des banques centrales), l’innovation financière, l’accroissement des effets de levier et les transactions informatisées à grande vitesse vont continuer de conjuguer leurs effets, aboutissant à la poursuite extrêmement rapide de la croissance du capital entamée dans les années 80. Bain & Co estime que les pays émergés, la Chine au premier rang, vont dans une large part prendre le relais des pays avancés et contribuer à hauteur de 40% à cette augmentation faramineuse.
Le consultant met en parallèle celle-ci avec celle du PIB mondial, dont la croissance sera selon lui bien moindre, et dont le volume représentera 90.000 milliards de dollars en 2020, contre 63.000 milliards de dollars en 2010. En d’autre terme, les actifs financiers augmenteront de 300.000 milliards de dollars tandis que le PIB en fera autant de seulement 27.000 milliards de dollars ! Ou, plus significatif encore, le rapport entre le PIB et le volume des actifs financiers sera en fin de période de un à dix.
Au chapitre des conséquences, Bain & Co prévoit que la surabondance de capitaux par rapport à l’économie – que l’on appelle désormais réelle et qui sous-tend des actifs financiers qui ne le sont donc pas – va aboutir à une forte augmentation de leur prix, contribuant au gonflement de nouvelles bulles. À la recherche de rendements, les investisseurs vont renouer avec l’appétit au risque – en particulier les fonds de pension afin de remplir leurs engagements – tandis que les valeurs refuge vont se raréfier, et que l’enjeu va être de savoir estimer au mieux le risque (alors que des voix autorisées reconnaissent la vacuité de l’exercice).
Autre lourde prévision, la concentration du capital dans les grandes places financières actuelles va se maintenir, tandis que la croissance va être localisée dans les pays émergents et les investissements (spéculatifs) vont être en priorité dirigés sur le marché des matières premières, afin de profiter de cette croissance, afin de ne pas s’impliquer dans des contextes considérés comme peu sûrs (d’un point de vue juridique ou par rapport au respect de la propriété intellectuelle et commerciale).
Il est significatif que cette étude ne fasse nulle mention de l’impact des mesures de régulation financière, signifiant donc qu’elles ne vont pas entraver la poursuite de ce qui a été engagé, créant un déséquilibre encore bien plus prononcé, si toutefois les calculs à la base de ces prévisions se révèlent fondés. Cette même observation est à la base d’inquiétudes qui se multiplient, dernièrement partagées par Jeremy Stein, un professeur de Harvard devenu en mai dernier membre du conseil des gouverneurs de la Fed. Selon Alan Greenspan et Ben Bernanke, les taux de la Fed ont en effet vocation à gérer le niveau d’inflation et du chômage, tandis que la prévention des bulles financières relève des mesures prudentielles et de régulation qui ne sont pas de son ressort. Mais Jeremy Stein a expliqué dans un discours remarqué que le bon outil pour faire face au danger d’une nouvelle bulle, alimenté par le comportement actuel des investisseurs, pourrait être la hausse des taux d’intérêt.
Si cette approche devait l’emporter, la Fed se trouverait au cœur d’une contradiction, devant hausser ses taux pour contenir la formation d’une bulle et les maintenir nuls pour soutenir l’économie et combattre le chômage (l’une de ses deux missions). Engagé sous une forme académique, ce débat témoigne de l’impuissance à maitriser les phénomènes contradictoires générés par le développement du capitalisme financier. Il met en évidence que, faute de mesures drastiques enrayant sa reproduction, l’activité financière ne peut que recréer par son développement incontrôlé les conditions d’une nouvelle crise.
Celle-ci résulterait de l’inflation des actifs annoncée par Bain & Co, un danger par rapport auquel les banques centrales sont désarmées, ne sachant ni relancer l’économie ni stopper la constitution de nouvelles bulles financières.
Une réponse sur “L'actualité de demain : CE CAPITAL SURABONDANT QUI NOUS VEUT DU MAL, par François Leclerc”
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