L'actualité de la crise : UN COSTUME TROP ÉTROIT, par François Leclerc

Billet invité

La crise de la dette s’accélérant et prenant le relais aux Etats-Unis, elle semble provisoirement pouvoir se calmer en Europe, pour mieux rebondir. Permettant de prendre un peu de recul, pour continuer d’analyser les décisions du sommet européen et de constater les premières réactions qu’il suscite sur les marchés.

Le plus apparent n’est pas nécessairement le plus décisif. Etant donné que les marchés réagissent dans l’immédiat par rapport à leurs propres anticipations, et qu’il est intéressant de soulever les coins du tapis. Le Financial Times a relevé combien les Money market funds américains (les fonds monétaires) ont commencé sans attendre ce début de semaine à restreindre leurs prêts au système bancaire européen, qui en est très dépendant. Les taux ne montent pas, mais les prêts sont de durée très limitée, une nuit ou quelques jours. A plus long terme, ils ne sont plus accessibles ou seulement s’ils sont pourvus de garanties béton. Potentiellement, il y a danger de blocage du système bancaire européen et nécessité pour la BCE d’intervenir en grand.

Importante, la dégradation de la note de la Grèce par Moody’s était attendue mais reste encore mesurée, puisqu’elle n’aboutit pas formellement à sanctionner un défaut de payement caractérisé, alors que Fitch a franchi le pas dès vendredi. Les bourses ouvertes étaient pour leur part toutes à la baisse ce lundi matin, sans qu’il soit possible de faire la part de ce qui résulte des crises européenne et américaine. Les spreads italien et espagnol ont à nouveau augmenté après avoir baissé, sans doute l’indice le plus important à suivre, car cela prend les décisions européennes à contre pied.

Aucune incertitude n’est levée, aucun plongeon n’est encore enregistré.

Quant à elle, l’analyse du paquet de mesures décidé par le sommet de vendredi dernier se précise. Pour aller à l’essentiel, il en ressort que la diminution globale de la dette qui est attendue, 21% de son total, n’est pas suffisante pour espérer que son solde sera remboursé. Le fonds d’assurance qu’elle doit financer, dont l’objet est de couvrir un nouveau défaut éventuel, ne permettra pas d’y faire face. Il aurait fallu que la décote soit de 50% pour que le ratio dette/PIB descende à un niveau crédible, selon les calculs effectués.

Le financement du Fonds de stabilisation financière (FSFE) n’est pas non plus à la hauteur des nouvelles missions qui lui ont été confiées. Faute d’avoir été augmenté, on ne voit pas comment il pourrait financer de nouveaux plans de sauvetage, l’exemple de la Grèce ayant montré qu’ils ne peuvent pas être taillés a minima. On voit moins comment il pourrait, par ses prêts de précaution, empêcher le cas échéant l’Italie et l’Espagne d’entrer à leur tour dans la zone des tempêtes. Et encore moins les sauver alors du naufrage.

Le montage financier sur lequel repose le FSFE est de facto mis en cause. S’il prête dorénavant à 3,5% et doit emprunter sur les marchés à un taux supérieur, il y a potentiellement problème ! Or, c’est ce qui risque vite de se passer… Les nouvelles missions du FSFE dépassent largement les prérogatives d’un fond de stabilisation. Vouloir lui faire endosser le costume de la BCE sans lui en donner les moyens financiers, c’est le déséquilibrer et créer dès maintenant la nécessité de le financer à bien plus grande échelle. Ou bien d’entrer clairement dans une logique euro-obligataire, ce qui dans les deux cas est politiquement exclu, tout du moins à ce stade de la crise. A noter que si le FSFE va se substituer à la BCE sur le marché obligataire secondaire – afin d’essayer de le stabiliser – il va garder un fil à la patte : c’est celle-ci qui déclenchera son éventuelle intervention.

Par ailleurs, plusieurs hypothèses sur lesquelles le nouveau sauvetage repose demandent à être confirmées. Au premier chef, la possibilité de dégager d’ici 2014 trente milliards d’euros d’un programme de privatisation d’actifs grecs. Au second, que les projections de participation volontaire des banques de l’Institute of International Finance – qui ont été également prises pour argent comptant – se concrétisent. De nombreuses grandes banques n’ont pas fait connaître leur décision.

Taillé nettement trop étroit, ce nouveau plan est politique, ce qui veut dire en l’occurrence à courte vue. Si elle se confirme, la pause estivale sera précaire. Mais la crise américaine a pris le relais et peut venir tout bouleverser sans attendre.

29 réponses sur “L'actualité de la crise : UN COSTUME TROP ÉTROIT, par François Leclerc”

  1. L’ensemble de la courbe des taux courts Euribor connaît une poussée haussière. C’est pas bon ça. Le danger que le système se bloque à nouveau n’est pas nul.

    Par ailleurs, les monetary funds évoqués par le FT ne sont uniquement US, il en est de même des bons vieux fonds monétaires européens (as we usualy say).

    Les capitaux de FESF n’ont pas été débloqués et ses actions restent limités par l’accord nécessaire de ses membres, mais cela reste la meilleure aarme de disuasion du dispositif.

  2. Jeudi 21 juillet 2011 : réunion des chefs d’Etat et de gouvernement européens.

    Vendredi 22 juillet 2011 : les taux des obligations de l’Italie et de l’Espagne repartent à la hausse.

    Lundi 25 juillet 2011 : les taux des obligations de l’Italie et de l’Espagne sont en forte hausse.

    Dans la zone euro, qui sera le prochain domino à tomber ?

    L’Italie ?

    Ou l’Espagne ?

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GBTPGR2:IND

    1. viendra la France, si on a bien compris, achetons des CDS sur la dette française ; ouuuarfff, si Julien l’Apostat est aux commandes, il va m’envoyer le commando vigneron-zébu !

      1. Cyniquement c’est une bonne idée. La France se rapproche rapidement du seuil des 90% de dette publique sur PIB. Passé ce seuil, si l’on croit Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, la croissance du Pib perd 1% par an.

        http://lupus1.wordpress.com/2010/01/08/carmen-reinhart-et-kenneth-rogoff-l%E2%80%99explosion-de-la-dette-publique-freine-la-croissance-economique/

        « La capitale de l’Alabama, la ville de Jefferson (en hommage à l’un des pères de la
        Constitution américaine qui doit se retourner dans sa tombe), a fait faillite ce week-
        end. Les fonctionnaires de la municipalité ont été priés de ne pas se rendre à leur
        travail lundi matin ; les patrouilles de polices vont être réduites de façon
        drastique… ». P. Béchade. Chr. Agora.

  3. Petite question de béotien : la dette grecque a déjà rapporté en intérêts aux prêteurs donc les pertes réelles dues à un défaut devraient être égales au pourcentage de défaut moins ces intérêts.

    J’imagine que c’est un peu plus compliqué que cela mais bon est-ce que le raisonnement est juste ?

    1. Oui, le raisonnement est juste, mais le capitalisme ne l’est pas (juste). Pour preuve, les prêts « revolving » qui sont remboursés de multiples fois tout en maintenant le débiteur débitant.

  4. On continue à suivre cette ambiance palpitante!
    Il reste que la BCE finira par manger son chapeau et par monétiser les actifs pourris.
    Mais cela ne résoudra pas le problème, bien sûr.
    Peut-être que les USA vont réellement faire faillite?
    Dans ce cas, advienne que pourra!

  5. à nouveau le dilemme « crise de liquidités » ou « crise de solvabilité » ; histoire sans fin, j’attends la repartie de Paul, notre maître orthodoxe ! 😉

  6. Le plan est crédible si le budget redevient excédentaire, càd si les impôts rentrent, si l’activité redémarre. « Deutsche Bank calcule que pour revenir à une dette de 159% du PIB en 2012 à 120% en 2020, il faudrait que l’excédent primaire soit compris entre 3,5 et 4% du PIB entre 2015 et 2020, contre -5% aujourd’hui ». Agefi. Ou la Grèce va-t-elle trouver les ressources de cette nouvelle croissance ? Les ventes d’olives et le tourisme ?

      1. Faire de la Grèce une nouvelle Irlande = judicieuse idée. L’Europe s’endette pour épauler le budget grec, tandis que la Grèce développe une politique fiscale très incitative, extrayant ainsi de la croissance d’un dumping fiscal qui tasse les ressources des Etats contributeurs au plan de soutien à la Grèce… L’autocannibalisme comme ultime solution.

      2. reculer pour mieux sauter …
        cela me rappelle l’époque où on délocalisait à tout va les services « externalisables » des grosses entreprises en Irlande … à des prix défiant toute concurrence !!
        et voilà le travail …
        quant à l’Espagne, elle était le meilleur élève neolib d’Europe : avec félicitations du jury !
        rebelote

        au fait l’Argentine était grandement félicitée car la meilleure élève du FMI …
        Bingo : Krach !

        c’est qu’on finirait – le vulgaire, il va de soi – par se poser des questions !

  7. http://www.nytimes.com/2011/07/25/opinion/25krugman.html?_r=1&hp

    Enfin les USA prennent conscience des effets néfastes d’un système de santé largement privatisé :

     » Also, did I mention that Republicans are doing all they can to undermine health care reform — they even tried to undermine it as part of the debt negotiations — and may eventually succeed? If they do, many of those losing Medicare coverage would find themselves unable to replace it.  »

    Les Républicains prennent les malades en otage, dans les négociation sur le plafonnement de la dette US.

    Je ne sais pas quelle utopie ils poursuivent mais cela apparaît comme chimérique : Seul éventuellement à très long terme avec le retour du plein emploi, chacun pourrait s’offrir une couverture médicale privée. En attendant les républicains font des sacrifices « cruels mais nécessaires » comme l’extrême droite en Norvège, dont les victime n’ont certainement pas su apprécier le caractère de nécessité.

    Tous ça de la part de gens qui se prétendent croyants. Une honte.

  8. Je ne comprends pas pourquoi les Irlandais ne refusent pas le renflouement de leurs banques comme l’on si bien fait les Islandais , des explications svp ?

    1. « Je ne comprends pas pourquoi les français acceptent le traité de Lisbonne, qui n’est que le TCE renommé, alors qu’ils l’avaient refusé par referendum. Des explications SVP ? »

  9. Pour la Grèce après le serrage de ceinture équivalent pour un malade à la « saignée » on passe maintenant à la privatisation des diverses richesses nationales, c’est à dire la « criée » et après ce dépeçage il ne restera plus que la « curée » c’està dire la « faillite ». Bien joué Messieurs!!! Doit-on croire de plus en plus à la « Stratégie du choc » de Chomsky.?

    1. Elle explique super bien ce qui est en train de se passer actuellement qui n’est que la répétition de ce qui s’est déjà produit ailleurs, d’après son bouquin, le choc actuel va permettre d’en finir avec les derniers « Etats Providence »

  10. qui parle de respecter les règles en ce haut-monde

    « Je ne comprends pas pourquoi l’Europe n’a pas respecté son pacte sur le déficit maximum de 3%. Des explications SVP ? »

    1. Critères de convergences pour entrer dans l’UE : 3% max de déficit annuel temporaire et 60% max du PIB de dette publique.

  11. Bonjour
    je ne sais pas si la modération accepte des citations longues mais je voulais vous faire partager le point de vue d’un politique histoire de voir ce qu’un économiste pouvait bien y trouver matière à commentaire.
    sur son blog, Jean Luc Mélenchon a écrit le 21 juillet 2011 ce qui suit :
    http://www.jean-luc-melenchon.fr/2011/07/21/zone-euro-la-course-a-l%E2%80%99abime-continue/

    Communiqué suite au sommet européen
    Zone euro : la course à l’abime continue

    Adopté sous la férule de la BCE et des banques privées, cet énième plan de sauvetage européen ne règlera aucun problème, ni à long terme ni à court terme.

    Le caractère antidémocratique de l’Union Européenne s’aggrave. Ce plan a été préparé sous le contrôle de la Banque centrale en présence de Jean-Claude Trichet qui en a été informé avant même les chefs d’Etat européens. Il a été adopté en présence de dirigeants des grandes banques (BNP Paribas et Deutsche Bank) invités à siéger au Conseil Européen parmi les représentants des gouvernements. Il n’y a plus de frontières entre une instance politique et un Conseil d’administration ! L’Union Européenne s’affiche sans retenue comme une oligarchie politico-financière.

    La décision de baisser les taux d‘intérêt imposés à la Grèce, l’Irlande et le Portugal donne raison à ceux qui comme moi ont dénoncé leur montant trop élevé. Cette volte-face ridiculise les propos tenus par Christine Lagarde qui y voyait une bonne affaire pour le contribuable français. Cela arrive malheureusement trop tard pour arrêter la spirale récessive dans laquelle ces pays ont été précipités par des plans d’austérité inhumains.

    Ce plan écarte la seule solution efficace pour casser la spéculation en refusant toujours que les Etats se financent directement auprès de la Banque centrale européenne. En continuant d’appliquer le traité de Lisbonne, les dirigeants européens ferment toute issue à la crise. Les rallonges accordées représentent une nouvelle montagne de dette publique pour les Etats de la zone euro. Ceux-ci, dont la France, seront toujours obligés par les traités européens de se financer sur le marché au bénéfice des banques privées et sous la menace des agences de notation.

    Enfin, la contribution promise du secteur privé n’aura pas lieu. Le projet d’une taxe sur les banques a été écarté. Les quelques mesures annoncées sont floues et non contraignantes.

    En persévérant dans l’erreur, les dirigeants européens aveuglés emmènent la zone euro dans le mur.

    1. Voui, à ceci près que le refinancement auprès de la banque centrale (BCE) aurait rapidement pour conséquence une dégradation du taux de change de l’euro, d’où inflation importée réduisant le pouvoir d’achat des ménages européens (en même temps, c’est le penchant naturel, que l’on essaye simplement de retarder).

  12. Le lobby bancaire pose deux conditions.

    Le lobby bancaire qui a lancé jeudi une offre des créanciers privés pour réduire la dette de la Grèce, l’Institut de la finance internationale (IIF), a prévenu lundi que cette offre ne tiendrait pas sans nouveau prêt du Fonds monétaire international à Athènes.

    Si le FMI n’apportait pas plus d’argent à la Grèce, « je pense que non seulement notre offre ne serait plus valide, mais le plan Marshall européen et le programme du FMI pour la Grèce ne le seraient pas non plus », a affirmé le directeur général de l’IIF, Charles Dallara, lors d’un point de presse à Washington.

    Le directeur général de l’IIF a ajouté qu’une autre condition pour que cette offre tienne était de réformer le fonctionnement de l’économie grecque.

    « Si on veut vraiment se pencher sur ce qui peut améliorer la croissance là-bas, il s’agit de la dérégulation et de l’amélioration de la structure concurrentielle en Grèce, combinée à un contexte beaucoup plus attrayant pour l’investissement. Et il y a beaucoup de place pour cela », a-t-il déclaré.

    Mais « il faut que nous soyons réalistes et pas que nous attendions une guérison du jour au lendemain. Et il est juste de dire qu’il faudra probablement une génération pour changer certaines de choses », a-t-il considéré.

    M. Dallara avait rencontré dans la matinée de lundi le ministre des Finances grec, Evangélos Vénizélos.

    http://www.boursorama.com/infos/actualites/detail_actu_marches.phtml?num=93b51e8908004a9d15426a1bd72c5c29

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