L'actualité de la crise: tests, premiers enseignements, par François Leclerc

Billet invité.

TESTS, PREMIERS ENSEIGNEMENTS

Tout bien pesé, les tests des 91 établissements bancaires européens ont finalement été d’un beaucoup plus grand intérêt que prévu. Non pas en raison de leurs résultats – tout le monde les considère fabriqués pour la circonstance et ils ne rassurent en façade que ceux qui les ont décidés – mais pour tout ce qui les a entourés et nous a été montré.

En premier lieu, en raison de la pagaille accrue qui entoure toutes les décisions européennes, retrouvée pour la circonstance, et qui reflète des divergences d’intérêts exacerbées entre les pays de l’Union. Cela n’est pas destiné à s’arranger. En second, à cause de la tenue pour le moins brouillonne de ces tests, qui a permis de chercher et trouver – en raison même du secret dont ils ont été entourés – d’innombrables finesses.

Toutes concourent à masquer la situation effective des banques. Inutile d’y revenir, la liste en a été faite précédemment ces derniers jours dans cette chronique. En creux de ce qui a été testé, l’inventaire a pu être fait de ce qui ne l’était pas, ou effectué de manière accommodante.

Derrière l’omniprésent discours de propagande sur le danger imminent que représente la dette publique, destiné à justifier d’importantes restrictions budgétaires, il n’y a qu’une seule intention : préserver à tout prix le système financier, toujours dans une situation de grande fragilité que l’on cherche à masquer. Car, au-delà des tests où les banques sont prises une par une, c’est dans son ensemble qu’il est le plus inquiétant, en raison du risque systémique que ceux-ci n’ont même pas essayé de mesurer.

Il faut une situation aussi critique que celle des Etats-Unis pour que le président de la Fed en vienne à inverser son discours, passant sans transition de la nécessité d’engager la réflexion sur la réduction du déficit public à l’éventualité de décider de nouvelles mesures de relance économique. Ce qui permet au passage de s’interroger sur qui, des Etats-Unis ou de l’Europe, est finalement le plus malade. La bataille s’annonce rude.

Celui de la BCE, dans le même temps, s’obstine en toute orthodoxie à préconiser d’immédiates mesures salvatrices de consolidation fiscale, dans une situation qui ne l’est pourtant pas. Affectant d’ignorer – ou pire, ne comprenant pas – qu’elles ne pourront être tenues dans toute leur rigueur voulue, dès lors que leurs effets sociaux se feront fortement sentir. Ou alors qu’il faudra en payer un prix politique élevé, quel qu’il soit.

Jean-Claude Trichet, puisque c’est lui, a commis dans les colonnes du Financial Times – qui le lui a commandé – une défense et illustration de cette rigueur dont il a fait son cheval de bataille. Son argumentaire mérite d’être suivi, en trois singulières justifications. En premier lieu, il affirme sans autre forme de procès qu’accompagnées de réformes – qu’il n’identifie pas – la consolidation fiscale est supportable. On connaît ses penchants, son goût pour la flexibilité du marché du travail et ses inquiétudes à propos des déficits des comptes sociaux. 

Deuxièmement, il considère qu’en raison d’obscures phénomènes non-linéaires (manière précieuse et contournée de dire parfaitement imprévisibles, ce qui n’est pas avouable), l’avenir est incertain et la confiance reste introuvable. Sur les raisons de cet insondable phénomène purement psychologique, il ne s’avancera pas davantage que sur sa description.

Il faut donc trouver un point d’appui, c’est l’occasion de son troisièmement qui se veut imparable : il est vital que les finances publiques soient remises sur pied, explique-t-il, car elles sont le dernier recours en cas de nouvelle crise financière. Voilà, tout cru, le fond de la pensée du plus brillant financier que l’Europe politique s’est présentement donnée. Empruntant un raisonnement qui fait le lit de tout le laborieux édifice de la régulation systémique, dont l’objet revendiqué est que les contribuables ne soient pas mis à contribution la prochaine fois. Il faudrait savoir ce que l’on dit.

Pour revenir à la mascarade de tests destinés à justifier ce discours – car si les banques vont bien, c’est donc que c’est le reste qui ne va pas – celle-ci est une excellente entrée en matière à l’épisode qui suit : la réglementation du système bancaire sous l’égide du Comité de Bâle, en cours de négociation avancée. En s’appuyant également sur cet extraordinaire précédent qu’est maintenant la loi américaine de régulation financière, forte de ses 2.300 pages très denses.

Car il ressort, dans tous ces cas, que de complexes échafaudages doivent être montés afin de prétendre maîtriser les déséquilibres prévisibles et inévitables de l’activité financière, sans probablement y parvenir à l’arrivée, dixit Jean-Claude Trichet ; et qu’il y a toujours une diablerie nichée quelque part, qui permet de s’affranchir des contraintes péniblement négociées entre les régulateurs et les impétrants, les banques pour ne pas encore une fois les nommer.

Ce qui renvoie à la terrible question suivante, en raison de sa portée : à quoi assistons-nous, à un jeu du chat et de la souris entre régulateurs et régulés où le chat fait preuve de toutes les mansuétudes, ou bien encore à la dissimulation d’une unique vérité inavouable, faute de savoir comment maîtriser la bête financière et ne voulant pas l’abattre ? Il y a des deux, devons-nous envisager d’admettre, ce qui n’est pas spécialement rassurant.

Ces préambules effectués, que peut-il rester encore à dire des résultats des tests ? Les résultats détaillés commencent à être divulgués et demandent, vu toutes les données qui sont apportées, d’être étudiés dans le détail. Il en ressort déjà que sur les 91 banques testées, seules 7 ne passent pas l’examen, dans les conditions où il a été effectué. HRE en Allemagne, 5 caisses d’épargne en Espagne et l’Agricultural Bank of Greece. Le cumul des besoins de recapitalisation serait de 3,5 milliards d’euros d’après le CEBS, en charge de l’opération.

21 réponses sur “L'actualité de la crise: tests, premiers enseignements, par François Leclerc”

  1. J’ai dit ce matin dans ma petite vidéo qu’on s’arrangerait pour que 5 % des banques européennes échouent aux tests de stress. 7 sur 91, c’est 8 %. Zut !

    1. Oral de rattrapage :

      ce sera 5% en volume monétaire, pas en nombre de banque
      (les banques visées sont plus petites que la moyenne).

    2. 60 %¨de plus que vos prévisions! Bon pour être gentils et pasqu’on vous aime ben, on dira que vos prévisions étaient en dessous de 37.5 %…
      Mais bon, attention, ya du relâchement dans le déchiffrage d’embrouillage d’audit d’entrailles bancaires! On se ressaisit svp! 18/20 🙂

    3. Et si on prenait les choses à l’inverse ? On s’arrangerait pour que 95 % des banques européennes réussissent aux tests de stress. Zut ! c’est 92 % : soit une marge d’erreur de 3%, pas plus que dans un sondage d’opinion ordinaire !

  2. Renflouer les états en ponctionnant les peuples durement pour que ceux ci(les états) puissent sauver encore une fois les financiers qui n’acceptent aucunes règles et maquerautent l’économie,c’est tout simplement diabolique.La crise à du bon elle fait apparaître à la lumière les larbins des oligarques.

  3. Bonsoir à tous

    Comme tout ce petit monde tourne en rond et que 92% des banques européennes satisfont aux tests, on peut raisonnablement avancer que le dépistage de la maladie de Creutzfeld -Jacob a été soigneusement écarté des tests!

    Merci encore à Ms Jorion et Leclerc pour vos apports inestimables pour le béotien que je suis en matière de finances.

    PS: Paul, je ne puis malheureusement pas contribuer financièrement à votre action,mais puis -je vous suggérer de fonder un micro-parti de droite et de voir « ça » avec Liliane?

    Cordiales salutations.

    1. J’ai bien peur que la dame de vos pensées,ne donne plus un kopeck à quiconque,fût ce un play-boy belge.

  4. En attendant de mesurer l’impact zigomatique de la mascarade, voici une proposition sensée de Samir Amin
    Sortir de l’Europe du capital
    Par Samir Amin
    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article18088

    Extrait

    La crise de l’Euro en cours pourrait fournir l’occasion d’un abandon du système absurde de gestion de cette monnaie illusoire et la mise en place d’un serpent monétaire européen en consonance avec les possibilités réelles des pays concernés. La Grèce et l’Espagne pourraient amorcer le mouvement en décidant :
    de sortir (« provisoirement ») de l’Euro ;
    de dévaluer ;
    d’instaurer le contrôle des changes, au moins en ce qui concerne les flux financiers.

    Ces pays seraient alors en position de force pour négocier véritablement le rééchelonnement de leurs dettes, après audit, répudiation des dettes associées à des opérations de corruption ou de spéculation (auxquelles les oligopoles étrangers ont participé et dont ils ont tiré même de beaux bénéfices !). L’exemple, j’en suis persuadé, ferait école.

    1. Bonsoir,

      vous nous conseillez de se débarasser de nos billets et piéces d’euros à l’éffigie du bon roi Juan Carlos ?

      cordialement

    1. Des sociétés précapitalistes ont déjà pratiqué le tirage au sort des dirigeants. Les grecs notamment.
      .
      Mais sous le capitalisme, à première vue, la proposition semble inutile,
      Les dirigeants, peu importe le mode de sélection, ne sont que bons acteurs chargés de com.
      C’est la supériorité pour le capital de Sarko, avant qu’il ne s’use, sur Ségo.
      C’est ce qui explique le choix de Wall Street pour Obama, contre Mcain.

      Mais à « deuxième » vue, le tirage au sort a un avantage.
      Il éviterait que le capital sélectionne le plus apte à défendre ses intérêts.

      Mais finalemenet, le capital ayant tous les pouvoirs, il trouvera toujours les moyens de diriger lui-même.

      Conclusion: la seule démocratie, c’est le choix des responsables, à tous les niveaux d’exercice du pouvoir.
      Y compris au niveau principal , qui structure la vie sociale: que produire, comment, et pour qui.

    2. Sur ce sujet, voir l’ouvrage érudit et très fouillé de Yves SINTOMER : LE POUVOIR AU PEUPLE – Jurys citoyens, tirage au sort, démocratie participative.

    3. @Chalres : « la proposition semble inutile » : que nenni ! Un tirage au sort nous épargnerait nombre de combines électorales, fausses promesses, truanderies diverses, financements occultes, et j’en passe. Ca empêcherait qu’un parti de gauche fasse une politique de droite, et qu’un parti de droite en fasse une d’extrême droite. Ca éviterait de parler de tas de conneries dans des tas de campagnes publicitaires à la con, et l’on parlerait, (peut-être), un peu plus des vrais problèmes.

  5. Il y a une sorte de déconnexion du réel de la part de JC Trichet, due pour partie à la
    ‘dérive’ de la fonction de la BCE, Trichet qui est sans doute à l’origine de l’astuce, ou du switch trading book / banking book, vu la coincidence temporelle, réexpliquée ici Confirmation that only sovereign bond losses will be considered validates stress test irrelevancy , dérive bien expliquée par un véritable expert, Willen Buiter, après d’autres

    Buiter can not believe it’s not traditional european central banking

    et surtout de la réalité décrite dans le rapport du FMI sur l’Europe, maintenant disponible en version française

    Zone Euro: la croissance passe par le rétablissement de la confiance

    Perspectives régionales: Europe

  6. Bonsoir François Leclerc,

    Je pose une question bête mais ces stress-tests ne veulent-ils pas dire tout simplement que les banques vont bien ? Et comment en pourrait-il être autrement ? Elles ont la garantie que leurs actifs pourris seront repris par les Banques centrales et qu’en plus elles les arroseront de liquidités au moindre problème, grâce au QE. Vous les considérez comme constructions artificielles, oui, c’est vrai par rapport à l’économie réelle, mais c’est quoi l’économie réelle actuellement ? Qui, en occident, s’intéresse à l’économie réelle ? Qui s’est interrogé sur les notations de la nouvelle agence chinoise concernant la France, par exemple ?

    1. Willem Buiter, un connaisseur tenant un excellent blog hébergé par le Financial Times et devenu chief economist de Citigroup, avait qualifié les banques de zombies et il n’avait pas tort.

  7. « Une Finance autiste.

    De Lloyd Blankfein, grand patron légèrement mégalomane de Goldman Sachs, ayant affirmé que son entreprise accomplissait le « travail de Dieu » au reste du système financier Américain tentaculaire qui n’a de cesse de mettre en avant sa contribution à l’enrichissement de la société, Wall Street a perdu le sens des réalités. Du reste, les chiffres qui y sont articulés semblent irréels et sans commune mesure avec la vie quotidienne du citoyen moyen: 26 millions de Dollars pour l’appartement de Blankfein, 2 milliards de Dollars estimés pour la valeur du Quartier Général à Manhattan de Goldman Sachs ou encore 550 millions de Dollars assumés par ce même établissement en règlement de son litige avec la SEC (Securities and Exchange Commission)… Cette quantité de zéros dans un monde où règne le virtuel vampirise l’économie réelle sans apporter de valeur ajoutée digne de ce nom!  »

    Michel Santi
    http://www.gestionsuisse.com/2010/une-finance-autiste/#more-1523

  8. Ou sont donc passés les centaines de milliards »actifs » toxiques des banques?Disparus, volatilisés dans une autre galaxie?On nous prend pour des c….ou quoi?

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