Billet invité.
« Quand Pierre Fresnay, Charles Trenet et Sophie Desmarets ! » : le couplet est ancien mais rend bien compte des attitudes de la Fed, de la BCE et de la Banque d’Angleterre, ainsi que de celle du Japon, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne convergent pas.
Cinq ans après avoir lancé une politique ultra-accommodante faite d’une création monétaire illimitée, la Banque du Japon est loin d’en avoir récolté les fruits. Hors produits alimentaires et énergie, l’inflation atteint péniblement 0,4%, et le pays sort légèrement de la récession où il était depuis dix ans. Le gouverneur de la Banque du Japon, Haruhiko Kuroda, doit prochainement être reconduit après avoir promis de poursuivre son offensive monétaire, totalement à rebours de celle de la Fed.
Le compte-rendu de la dernière réunion du comité de politique monétaire de la Fed (FOMC) évoque l’hypothèse d’une remontée plus rapide qu’initialement prévue de ses taux d’intérêt, décidée jusqu’à maintenant en trois étapes cette année. Conséquence d’une prévision d’accélération de l’inflation suite aux mesures de relance de l’économie de l’administration Trump. L’unanimité ne se fait néanmoins pas sur ce point. La prochaine réunion monétaire de la banque centrale, qui se fera pour la première fois sous la présidence de Jerome Powell, le successeur de Janet Yellen choisi par Donald Trump, est prévue les 20 et 21 mars et permettra peut-être d’y voir plus clair.
Le débat s’est d’ailleurs déplacé aux États-Unis, où une enquête auprès de 211 économistes de l’Association nationale pour l’économie d’entreprise (NABE) fait apparaître chez une majorité d’entre eux la crainte d’un trop plein de stimulation économique allant accentuer le déficit budgétaire. Ce qui est bon à court terme pourrait ne pas l’être à long terme, les mêmes économistes considèrent plus largement encore que la politique économique pourrait lutter davantage contre le changement climatique (59%) et agir plus pour réduire les inégalités de revenus (78%).
Ce n’est pas du côté de la Banque d’Angleterre qu’il faut attendre de grandes nouveautés, celle-ci ayant relevé ses taux d’intérêt pour la première fois de la décennie et se tenant dans l’expectative en raison des modalités à venir du Brexit et de leurs conséquences.
Côté BCE, la prochaine réunion de politique monétaire est prévue pour le 8 mars, mais Mario Draghi a pris les devants lors de son audition devant le Parlement européen, en utilisant les deux mots-clés de « patience » et de « persévérance ». Pour lesquels il a donné une explication de texte : « l’évolution de l’inflation reste fondamentalement conditionnée à un large stimulus monétaire fourni par l’ensemble de nos mesures de politique monétaire », dont la disparition n’est donc pas pour demain.
À la lecture du compte-rendu de la dernière réunion de la BCE, les divisions entre ses gouverneurs s’accroissent. Les marchés avaient réagi à l’annonce d’un prochain resserrement monétaire, sans que cela ne prenne les proportions enregistrées aux États-Unis pour les mêmes raisons. Cela donne visiblement à réfléchir, tout comme la volatilité enregistrée sur le marché des changes suite aux déclarations sur le dollar faible de Steve Mnuchin, le secrétaire au Trésor. Différents scénarios d’arrêt des achats obligataires et de remontée des taux sont agités, mais rien n’est encore acquis. S’il reste prévu d’arrêter en premier les achats, le calendrier et le rythme d’exécution des modalités du retrait ne sont pas arrêtés.
Jens Weidmann privilégie l’arrêt des achats obligataires de la BCE, tout en reconnaissant que la remontée des taux sera lente afin de satisfaire aux besoins du système, car il entend ainsi privilégier la montée des taux obligataires et l’incitation à diminuer l’endettement qui en découle.
Le choix très politique par l’Eurogroupe de Luis de Guindos pour le poste de vice-président de la BCE a suscité une réaction négative en son sein, dans l’attente du Conseil européen des 23 et 24 mars qui va désigner ce candidat devenu unique. Elle pourrait augurer de la nomination ultérieure, en 2019, d’un successeur à celle de Mario Draghi d’un pays du nord de l’Europe. Le duo renforçant alors le camp déjà bien fourni des « faucons » favorables à la politique du gouvernement allemand à la tête des institutions européennes. Dans le contexte du débat engagé sur la procédure de désignation du président de la Commission, les réticences exprimées à propos de celle de Luis de Guindos valent une prise de distance avec la procédure employée : une fois la décision de l’Eurogroupe prise, le candidat irlandais Philip Lane n’a pas eu d’autre choix que de se retirer, ses membres n’ont même pas eu à voter…
Comment va fonctionner un système où les banques centrales ne marchent pas du même pas ? Voilà qui ne va certainement pas contribuer à clarifier le paysage. Placées devant des impératifs contradictoires, leurs choix sont en réalité très politiques. De ce point de vue, elles sont les premières à mettre en cause une indépendance de façade. Une autre fiction ne tient pas davantage la route, celle de leur mission, qu’exprime leur mandat. Détentrices des clés du coffre, à quoi doivent-elles servir ? Lutter contre l’inflation – leur mission principale – n’étant pas de saison, doit-on utiliser les largesses dont elles ont fait abondamment preuve pour financer d’autres missions et lesquelles ? Les suggestions dans ce domaine ne manquent pas, surtout quand il s’agit de réduire le colossal endettement des États. Mais elles ont en commun d’esquiver les origines de celui-ci en le prenant pour un fait accompli, et de ne pas y remédier…
1er mars, lancement de Décodages
Ma chronique va entamer une nouvelle vie. Dans deux jours, vous la trouverez quotidiennement à l’adresse décodages