Billet invité.
En dix ans, notre connaissance des rouages et des dysfonctionnements du système a considérablement augmenté. La crise a suscité un intérêt pour des activités financières méconnues, et les circonstances ont contribué à l’assouvir. Beaucoup a été mis à jour et partagé, mais avec quel effet ?
Fort peu, doit-on constater. Pas convaincante à de nombreux égards, la régulation financière dont il a été fait grand cas est maintenant remise en question aux États-Unis et en Europe, sur des modes différents. Dans d’autres domaines une terrible inertie se manifeste, témoignant que le phénomène est plus général.
L’évasion fiscale fait encore les grands titres avec cette fois-ci sa sœur l’optimisation fiscale, mais c’est pour soulever encore une fois une « parodie de l’indignation » (1). Les effets de menton vont redoubler le temps que l’émotion retombe, laissant intacts les mécanismes de base de cette tricherie à très grande échelle, qui sont pourtant identifiés. C’est faute d’une « volonté politique », est-il regretté, sans qu’un motif soit recherché à cette absence. En évitant d’admettre que les havres fiscaux jouent un rôle fonctionnel dans le système financier, dont ils sont non pas une excroissance mais partie intégrante. On comprend mieux, dès lors, qu’ils soient intouchables.
Les pratiques des compagnies transnationales offrent une autre occasion de constater cette même inertie arrangeante. Celles-ci optimisent en toute impunité leurs impôts en s’appuyant sur une myriade de cabinets d’avocats et d’audit, l’ampleur des détournements qui sont opérés nourrissant une véritable industrie qui a pignon sur rue. Et le chœur des lamentations entame une fois encore le grand air de l’indignation. Tout le monde n’est pas le juge Renaud Van Ruymbeke qui assimile ces pratiques au blanchiment et n’attribue que « l’apparence de la légalité » à ces montages sophistiqués. « La différence entre l’optimisation et l’évasion fiscale est dans l’épaisseur des murs d’une prison » avait constaté il y a déjà longtemps, sans plus d’effet, Denis Healey, un ministre travailliste des finances britannique.
Qui ne s’inquiète de nos jours de la montée des inégalités ? Les grandes organisations internationales sont au premier rang de ces institutions lanceuses d’alerte en raison des dangers politique qu’elles y décèlent. Mais lorsqu’il s’agit du remède, il n’y a pas foule. Les réformes fiscales d’Emmanuel Macron et Donald Trump, les deux dernières en date, ne vont que les accentuer. Selon Tax policy center, qui a analysé la dernière, 1% des contribuables américains, qui accaparent déjà la richesse, vont bénéficier de la moitié des déductions d’impôts.
Pour juger du niveau des argumentaires, rien de tel que de citer le speaker républicain de la Chambre des représentants, Paul Ryan, à propos de l’impôt sur la succession : « nous pensons qu’il n’est pas juste. La mort ne devrait pas être un évènement imposable, et nous ne devrions pas empêcher les gens de transmettre le produit d’une vie de travail à leurs enfants ».
Les temps changent et cela ne passe nulle part inaperçu. L’industrie du luxe voudrait élargir son marché et pense avoir trouvé la solution. Elle a annoncé se lancer dans la location à la journée de produits de luxe et va commencer par les sacs à main, un marché qui est en train d’exploser aux États-Unis. Les revenus diminuant, on passe de la possession à la location à la journée, un phénomène qui a trouvé son nom chez les spécialistes du marketing : Cendrillon.
La surveillance des individus via les objets connectés n’en est qu’à ses débuts si rien ne l’encadre. La révélation des activités de la NSA américaine et de ses homologues a mis en évidence que l’indiscrétion était devenue la règle et que la vie privée n’existait potentiellement plus. Les logiques policières et du marketing se rejoignent. Les technologies existantes sont en mesure de traiter à la demande des quantités considérables de données, la reconnaissance vocale ou des visages, et bientôt le fichage génétique à grande échelle vont reléguer les bienfaits de l’anonymat dans le passé (2). La puissance de ces outils est redoutable si elle tombe aux mains d’une inquisition. Mais, là encore, il en a été largement pris conscience, sans que cela n’y change quoi que ce soit.
La liste des phénomènes témoignant d’une grande inertie ne s’arrête pas là. Comment ne pas penser, pour la compléter, aux effets de la hausse de la température dans l’atmosphère ? Ou, s’agissant de ces catastrophes issues de l’activité humaine, à la pandémie de diabète ?
Un progrès indéniable est enregistré par rapport au passé, nous savons désormais ce qui nous attend si nous n’y faisons pas barrage.
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(1) Comme titré par Martine Orange dans Mediapart.
(2) En France, près de 10% de la population est déjà inscrite dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG).