C’est ainsi qu’est perçue en France la riposte gouvernementale à l’envolée de la pandémie, qualifiée de « brutale » par le Conseil scientifique, et c’est l’effet qu’elle engendre à défaut d’être efficace, ce que les jours à venir confirmeront selon de fortes probabilités. Même avec la méthode Coué, il n’est plus possible de croire que la pandémie est sous contrôle.
Quand de nouvelles et inévitables mesures interviendront elles et en quoi consisteront-elles ? De nouvelles zones astreintes au couvre-feu et un horaire élargi de celui-ci sont des plus probables, à moins que des confinements locaux ne soient décidés. La région parisienne pourra-t-elle en être exclue ? Le mal est fait, la société est suspendue aux épisodes à venir, installée dans l’anxiété à moins que ce ne soit dans le déni.
Il n’est pas rare d’entendre qualifiées les nouvelles « d’intox » et le culte qui entoure le professeur Raoult et son remède miracle n’a pas disparu. L’une des raisons en est le matraquage de l’information et les déclarations des dirigeants politiques qui mettent l’accent sur la responsabilité de chacun, en arguant qu’ils font tout ce qu’ils peuvent. L’illustration la plus stupéfiante en a été donnée aux États-Unis par le chef de cabinet de la Maison Blanche, Mark Meadows, qui a déclaré « nous n’allons pas contrôler la pandémie », sans dire clairement si c’est un aveu d’impuissance ou l’expression d’une volonté.
Interrogé sur le refus du gouvernement de rendre obligatoire le port du masque, il a répondu: « nous vivons dans une société libre ».
Les pertes de repères les plus élémentaires risquent de s’accentuer avec l’apparition de nouvelles restrictions. Tandis que les données de la pandémie qui sont disponibles ne rendent pas correctement compte des circonstances des nouvelles infections, le gouvernement privilégiant comme cause principale les rassemblements familiaux et amicaux, ainsi que les bars et fêtes, sans pouvoir s’appuyer sur des données éprouvées. Le lieu de travail et les transports pour s’y rendre sont sujets tabous.
Sans sourciller, relayant les propos du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, l’un des éditorialistes du quotidien Les Échos, Dominique Seux, affirme que « le reconfinement et avec lui une deuxième catastrophe économique et sociale nous pendent au nez. » Puis il désigne la cible : « Mais enfin ! Les principaux coupables, ce sont tous ceux qui, sur les réseaux sociaux, devant les micros, sous l’œil des caméras et sur les plateaux des chaînes d’infos en continu, ont passé tout le mois de septembre à minimiser le risque de deuxième vague. « Le virus est moins sérieux » ; « C’est une maladie sans malades ».
Les idéologues du libéralisme ont la peau dure, faisant preuve au choix d’inconscience, de désinvolture ou de cynisme. Mais le pire réside dans ce dont ils sont porteurs, une société anxiogène qui ouvre la voie à une société de surveillance. Les libertés publiques sont déjà menacées d’être rognées.
Extrait d’un article de Laurent Mauduit paru hier dans Mediapart:
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Dans le microcosme du monde du droit, le débat prend aussi de l’ampleur. Témoin cette tribune publiée ce même 23 octobre par le célèbre éditeur de publications juridiques Dalloz, sous la signature de Victor Audubert, docteur en droit public, sous le titre : « Face aux menaces sur les libertés publiques, les juristes doivent prendre parti ». « La banalisation de l’exception, au nom de la lutte contre le terrorisme ou une pandémie, est une constante depuis les années 2000 », s’alarme le juriste.
Et il poursuit : « On note toutefois une accentuation des mesures restreignant les libertés publiques depuis 2015. On peut d’abord citer l’état d’urgence contre le terrorisme, exception qui a été “normalisée” par une loi de 2013. Puis l’état d’urgence sanitaire qui, après avoir été en vigueur entre le 23 mars et le 10 juillet, vient d’être prolongé par décret. Enfin, l’instauration d’un couvre-feu en Île-de-France et dans plusieurs métropoles françaises, une mesure inédite depuis la guerre d’Algérie. Face aux divers risques inhérents à n’importe quelle société du XXIe siècle, la France – ce n’est pas le seul État – fait le choix non pas d’encadrer les libertés publiques, mais bien de les restreindre. Il ne sera pas fait mention ici des innombrables lois portant sur la sécurité votées depuis le milieu des années 2000 ni des innombrables alertes des juristes. C’est devenu un lieu commun de constater que la répression constitue l’alpha et l’oméga de toute politique de sécurité. Ce qui l’est moins, c’est de penser que cette répression est en train de se muer en un contrôle des corps et des comportements sociaux toujours plus poussé sur la population. Ainsi, nous entrons dans une ère juridique où le contrôle sur les individus n’a jamais été aussi fort, avec la surveillance de masse permise par les différents progrès technologiques. »
À écouter les protestations innombrables qui viennent du monde du droit, on en vient immanquablement à penser à la célèbre formule (déformée) de l’un des pères fondateurs de la démocratie américaine, Benjamin Franklin (1706-1790) : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux. »