« Avec la pandémie, nous sommes passés d’une économie du risque à une économie de l’incertitude radicale, sur le modèle même de l’épidémiologie » explique dans une interview au Monde l’économiste Robert Boyer à propos de la parution de son nouveau livre, « Les Capitalismes à l’épreuve de la pandémie » (*). Difficile de mieux résumer le tournant en cours.
En fait de panne de croissance, celle de l’épargne des particuliers qui s’intensifie n’en est pas la moindre des caractéristiques. De même qu’une perte de confiance dans les autorités qui va continuer à se manifester quand l’occasion lui sera donnée ou quand elles le susciteront. Celles-ci ne proposant comme perspective qu’une reprise de l’économie, qui est ressentie comme sujette à caution.
Les aides gouvernementales se multiplient pour parer au plus pressé, mais des secteurs entiers de l’économie sont menacés, comme celui de l’aéronautique. Ce qui a déjà conduit le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau a avertir que « les dépenses publiques sont à un niveau d’alerte ». Les mesures gouvernementales ne sont pas destinées à durer indéfiniment, notamment les aides sociales, alors que les plans de licenciement sont dans les tuyaux. Combien de temps seront-elles à nouveau prolongées ?
On ne voit pas par contre la fin de la situation d’incertitude actuelle, tandis que l’OMS appelle à apprendre à « vivre avec la pandémie » et que les mesures destinées à en freiner l’expression se multiplient, donnant l’impression que les autorités les donnent à reculons en accordant la priorité à la reprise de l’activité économique. « À tout prix » proclament-elles, ce qui n’est pas en soi très rassurant. Elles portent la plus grande responsabilité dans la perte de confiance qui se développe à leurs dépens, quand elles ne suscitent pas le besoin exprimé d’un pouvoir fort, ce qui n’est pas mieux.
La polarisation s’accentue entre ceux qui rejettent les contraintes au nom d’une conception de la liberté frelatée et ceux qui en comprennent la nécessité. Toute perspective de consensus s’éloigne, notamment à tous propos au niveau européen entre pays. Ce n’est pas sans conséquence pour la BCE et pour sa présidente Christine Lagarde dont le style consensuel revendiqué va avoir du mal à être tenu, déjà que ses interventions suscitent immédiatement un correctif de son économiste en chef Philip Lane lorsqu’elles sont malencontreuses. Boucler la revue stratégique engagée va nécessiter de faire preuve d’une forte volonté pour trouver un compromis.
L’avenir est donc incertain, mais il est également conflictuel, pour ne pas évoquer la tragédie que connaissent les Étasuniens. Ainsi que les Brésiliens et les Indiens qui sont logés à la même enseigne, accréditant là une forte tendance à l’échelle mondiale.
(*) Éditions La Découverte, 200 pages, 19 €.