Phénomène devenu banal dont on ne parle plus, l’inflation est passée en territoire négatif en août dans la zone euro, mesurée à -0,2% par l’Office européen des statistiques. Dans un monde où depuis des décennies elle était surveillée comme le lait sur le feu, ce n’est pas un petit changement. Qualifier d’inflation négative la déflation de sinistre réputation afin d’en amortir l’impact ne change rien à l’affaire.
L’adoption d’une cible d’objectif de 2% par valeur négative était un des dogmes des banques centrales occidentales – pour la BCE depuis 17 ans – jusqu’au jour où Olivier Blanchard, alors économiste en chef du FMI, préconisa d’adopter une cible plus élevée. Brider l’inflation n’était plus de circonstance lorsqu’il s’agissait de relancer l’économie et d’accroître les achats de titres souverains. Elle a été abandonnée en août dernier, quand le président de la Fed, Jerome Powell décida que l’inflation pouvait « pendant un certain temps » dépasser le seuil de 2%, au nom de la défense de l’emploi qui fait officiellement partie de ses missions.
Depuis, la revue de la stratégie de la BCE s’annonce mouvementée, la discussion se portant sur le même terrain. Chacun faisant son tour de chauffe, c’est à celui de François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France. La BCE dispose d’une grande marge de manœuvre, fait-il remarquer, l’inflation étant loin d’atteindre la cible adoptée de 2%. Puis il montre le bout du nez en expliquant qu’une cible n’est pas un plafond, en tirant comme conclusion que « nous pourrions être prêts à accepter une inflation supérieure à 2 % pendant un certain temps, sans déclencher mécaniquement un resserrement de notre politique monétaire ». Le gouverneur n’a pas manqué de faire référence au tournant pris par la Fed pour justifier d’en faire autant.
Afin de faire monter un taux d’inflation rebelle aux incitations de la BCE, des années d’injections massives de liquidités n’ayant pas donné les résultats espérés, le gouverneur a une brillante idée : il suffit de modifier son mode de calcul, c’est à dire d’étalonner autrement le thermomètre. Quelle audace ! Il propose donc d’intégrer le coût du logement, comme il est procédé par la Fed aux États-Unis. Sous l’effet de la bulle immobilière spéculative, l’inflation grimpera. Celle-ci, fait-il valoir, est plus forte que reconnue officiellement, comme son ressenti le laisse penser, prenant le contrepied de l’argumentation habituelle.
Les autorités financières américaines sont connues pour être plus pragmatiques. Quand le gouvernement français prétend relancer l’économie avec un « choc de l’offre », puisant son inspiration dans une théorie dont l’heure de gloire est lointaine, la Fed fait face à un « choc déflationniste » et annonce que « les taux resteront très accommodants jusqu’à ce que l’économie ait largement entamé sa reprise », ne prenant pas des vessies pour des lanternes en ce qui la concerne.
En Europe, la BCE doit continuer de s’atteler à la tâche, mais les divergences à propos de sa stratégie n’ont pas disparues. Elles ont l’occasion de se manifester de nouveau.