Pauvres ou riches, à chacun son mode de paiement.
L’utilisation de l’argent en espèces est gratuit, quand on l’a gagné, et cela semble aller de soi, mais pour combien de temps ? Après la « bancarisation » au berceau, une prohibition d’un genre nouveau est amorcée aux États-Unis, celle des espèces. Les cartes de débit et de crédit sont devenues nécessaires dans les magasins qui affichent « cashless » (pas d’espèces).
Le mouvement s’est engagé, malgré que de nombreux américains ne disposent pas de cartes bancaires, pas même de comptes de dépôt, les excluant de fait. Les espèces restent l’unique moyen de paiement pour 6,5% des américains, le plus souvent des afro-américains ou des hispaniques à bas revenus. À l’inverse, 29% des américains ne les utilisent plus selon le Pew Research Center. Afin de contourner la difficulté, face aux réactions suscitées et à la menace d’interdiction de cette pratique par de grandes municipalités, certaines chaînes de distribution proposent l’achat avec des espèces de cartes prépayées…
Les espèces étaient anonymes, pour le meilleur et pour le pire, l’argent est en passe de perdre cette attribution au profit de moyens électroniques de payement dont la traçabilité est l’une des qualités. Ils ont aussi un double avantage, ils ont un souvent coût pour leurs utilisateurs et les fait aisément tomber dans le monde onéreux du crédit à la consommation.
Les espèces avaient si l’on peut dire un autre intérêt, celui de pouvoir être aisément conservées à l’abri, sous le matelas ou une pile de linge. Qu’elle soit forcée ou par prudence, l’épargne y trouve son compte. Les États-Unis sont à ce propos également touchés par l’accroissement de la modeste épargne des particuliers, qui double en moyenne selon une étude de la Réserve fédérale de San Francisco. Et cela ne résulte que marginalement de la crainte de manipuler des billets de banque en raison de la pandémie. De petits pécules sont constitués que l’on se refuse de confier au système bancaire, souvent n’y ayant pas accès.
La société contemporaine s’affirme à deux vitesses, cela n’est pas nouveau et se renforce. Dans les pays émergents, la richesse relative se mesure à la détention de devises étrangères, dans les pays « développés » au maniement de l’argent électronique. Les tirelires et autres bas de laine ont changé de nature, les cassettes sont dématérialisées, les pauvres sont restés avec leur pièces jaunes.
L’argent n’a jamais été autant une abstraction. Sa liquidité s’accroit, sa circulation est privilégiée, son tourbillon nous emporte. Les ilots de gratuité sont menacés par la montée de ses flots.