Dans un monde financier hydrocéphale, qu’est ce qui n’est pas trop gros pour s’effondrer ? Cela a commencé avec les mégabanques, dont une liste a été dressée, puis les fonds d’investissement les ont supplantés, mais il y a pire encore, installé en son cœur. Les chambres de compensation destinées à maitriser le risque de défaut de paiement des transactions financières, à force de concentrer celui-ci, sont paradoxalement devenues un point de fragilité du système.
Paul Tucker, un ancien vice-gouverneur de la Banque d’Angleterre, préside désormais le Conseil du risque systémique européen et s’alarme du « chaos total » qui résulterait de l’effondrement de l’une d’entre elles, critiquant la passivité du Conseil de stabilité financière (FSB). Les chambres de compensation enregistrent quotidiennement des milliards de dollars de transaction et n’ont pas les moyens financiers de faire face en cas de défaut de paiement étant trop faiblement capitalisées. C’est reconnu mais rien n’est fait pour y remédier.
Les grandes banques et les fonds d’investissement qui en sont les habitués craignent que les pertes résultant d’une défaillance ne soient partagées entre eux et appellent à un accroissement des fonds propres des chambres de compensation, mais un bras de fer est engagé avec leurs actionnaires qui s’y refusent. Les uns et les autres se renvoient la balle et rien ne bouge. On trouve d’un côté JP Morgan, la Société générale ou BlackRock, de l’autre LCH, CME Group et Intercontinental Exchange, rien que du beau linge. Pour ces derniers l’augmentation des fonds propres « créerait un risque moral, car la chambre de compensation paierait pour les risques pris par ses membres ».
Mais de quel risque parle-t-on ? Les utilisateurs des chambres de compensation doivent répondre à des appels de marge, sous forme de numéraire ou de collatéral, qui permettent théoriquement de couvrir les risques de défaut intervenant entre eux. C’est là où le bât blesse, car comment les calculer quand des masses de produits structurés complexes sont en jeu ? Aucun filet de sécurité n’est prévu au cas où le montant de ces appels, malvenus car augmentant le coût des transactions, se révélerait insuffisant… Il avait été question d’accorder aux chambres de compensation l’accès aux guichets des banques centrales réservés aux banques commerciales, mais cela a été vite oublié.
À force de chercher un canari avertissant du grisou parmi les nombreux prétendants, peut-être l’a-t-on trouvé ! Les régulateurs font face à leurs limitations, on s’en voudrait de le souligner à nouveau, dépassés par le gigantisme du système financier qui est en soi « too big to fail », rendant illusoire toute tentative d’identification de ses composantes les plus risquées, tellement elles sont interconnectées.