L’emphase l’a donc emporté, arrangeant tout le monde. L’évènement est historique, pas question de faire la fine bouche ! Emporté par son élan, Emmanuel Macron promet même que les contribuables ne seront pas mis à contribution afin de financer la manne financière qui va être partagée. Mais aujourd’hui rien ne le garantit.
Dans ce concert, une voix dissonante s’est prudemment fait entendre, faisant remarquer qu’une pièce du puzzle manquait et non la moindre : la discussion sur l’augmentation des fonds propres de la Commission n’a pas eu lieu a souligné Nicolas Véron du think tank européen Bruegel. Or c’est bien par ce biais que ses emprunts pourraient être remboursés afin de préserver les contribuables, à condition toutefois que cela prenne la forme de nouvelles taxes atteignant les grandes entreprises internationales (sous-entendu en priorité américaines).
Cela soulève deux questions. Comment les 27 vont-ils se mettre d’accord afin de mettre en œuvre des taxes, alors qu’ils ne sont pas parvenus à les adopter depuis plusieurs années ? Quel devra être le niveau élevé de leur rendement afin de financer le remboursement des colossaux emprunts de Bruxelles ? Rien n’est certes impossible, le sommet vient de le montrer, mais les obstacles sont là. Or celui-ci a également témoigné d’un grand art de l’esquive en éludant les sujets qui fâchent le plus.
Le plan de relance et de résilience a une durée de trois ans et les mécanismes qui vont être mis en œuvre ne sont pas destinés à subsister par la suite. C’est la condition explicite et oubliée qui a été formulée par le gouvernement allemand et adoptée par les autorités françaises. Une prolongation représenterait une nouvelle marche à gravir dans la foulée de départ. Les traités sont « suspendus » et leur révision repoussée, tandis que les euro-obligations ne sont toujours pas en odeur de sainteté. Le tournant historique est d’une portée limitée. Enfin, les intentions affichées vont devoir trouver leur concrétisation et les subventions accordées ne pas se résumer au rôle de pansement dans un contexte d’un avenir très incertain, pour le FMI notamment.
POST-SCRIPTUM : Si l’on veut une illustration de la situation, la décision de Moody’s de placer en revue la dette de cinq pays pauvres ayant décidé de bénéficier du moratoire de paiement de leurs intérêts décidé par le G20, la Banque mondiale et le Club de Paris s’impose. Elle justifie l’insuccès de ce programme, les dirigeants des pays pauvres concernés craignant un retour de flamme lorsqu’ils retourneront sur le marché. Par sa décision, qui prélude à une dégradation de la note, Moody’s exprime clairement la crainte des investisseurs privés devant la perspective d’une restructuration de la dette, certains déplorant déjà que les règles du marché sont faussées… Des États ou des investisseurs privés, qui va avoir le dessus ?