Il y a deux manières d’appréhender les évènements en cours aux États-Unis, soit d’enregistrer leur crise multiforme interne, soit de contempler une puissance qui n’a pas faibli. La première a suscité le renfort de Vladimir Poutine aux thèses complotistes de Donald Trump, la seconde s’exprime sur le double plan militaire et financier, où elle est intacte.
New York est restée la première place financière mondiale, devançant plus que jamais Londres et les places européennes ou asiatiques émergentes. Son omnipotence se manifeste sur tous les marchés financiers et les fonds d’investissement, banques et hedge funds américains sont prédominants. Le règne de la Fed ne s’est pas démenti, comme ses interventions de ces mois derniers sans équivalent l’ont démontré. Venant de doucher les investisseurs avec de sombres prévisions économiques pour l’économie américaine, elle a entamé l’achat d’obligations d’entreprises sur le marché secondaire après en avoir fait autant sur le marché des fonds indiciels (ETF).
La banque centrale a toutefois un rôle qui dépasse de loin les frontières américaines. En raison du statut du dollar, elle intervient sur le marché mondial dont elle est chargée de la surveillance afin d’éviter les accidents de parcours. Elle a pour cela une arme à sa disposition, les accords de swaps de devises (d’échanges) avec les autres banques centrales qu’elle ne s’est pas privée d’utiliser. Quatorze d’entre elles en ont bénéficié, débordant le cercle habituel des banques centrales des pays « développés ». Il y avait en effet urgence à intervenir sur les marchés émergents, durement secoués par le retrait massif de capitaux occidentaux.
Une pénurie de dollar sur le marché mondial susciterait en effet un gel du système financier, rendant impossible le remboursement de dettes souvent libellées en dollars et le règlement de transactions commerciales qui en réclament également. Ayant dû dégeler en catastrophe le marché des fonds monétaires, la Fed a préféré prendre les devants sur celui de la dette des pays « émergents ». Ses opérations sont mondiales.
Le mécanisme a tout de la simplicité. Avec les dollars dont elles disposent grâce à ces swaps, les banques centrales de ces pays achètent des obligations émises en dollar des gouvernements, et tout le monde est content. Ceux-ci ont préféré s’endetter à nouveau au lieu de rechercher une restructuration de leur dette existante, craignant la foudre des marchés quand elle est détenue par des investisseurs privés. Le faible niveau des taux sur les marchés obligataires découlant de la politique monétaire des banques centrales a fait le reste. Sur le marché international, l’intervention de la Fed a donné confiance aux investisseurs qui y ont été de leur écot, renversant la vapeur pour revenir dans les pays « émergents » après s’en être retirés.
Mais gare au prochain tournant, quand il faudra procéder aux remboursements de cet endettement supplémentaire ! Les banques centrales achetant la dette de leurs pays, c’est elles qui seront en première ligne. De quoi alimenter les discussions sur leurs nouvelles missions, auxquelles elles n’échappent pas. Quid, à ce propos, de la réévaluation stratégique de la BCE annoncée à grands fracas par Christine Lagarde lors de sa prise de fonction ?