Ces cadeaux qui entretiennent l’amitié

Afin de ne pas en rajouter et d’éviter la contagion, les acteurs de la finance sont l’objet de toutes les attentions. Les banques sont toujours les enfants chéries en raison du rôle qui leur est assigné dans la relance et l’activité économique en général. Cela commence par de la mansuétude, des régulateurs qui détournent le regard, et cela se poursuit par des modifications et les reports des réformes prudentielles. Sans parler du taux cadeau des banques centrales qui les arrosent d’abondantes liquidités.

En vrac, elles ont bénéficié dès mars dernier du report des stress tests par l’Autorité bancaire européenne (« couvrez ce sein que je ne saurais voir »), divers assouplissements des niveaux de capital réglementaires assortis d’un élargissement des actifs éligibles par la BCE, puis de sa recommandation d’appliquer « avec souplesse » les normes comptables relatives au traitement prudentiel des actifs. Le Comité de Bâle n’a pas été en reste en permettant de couvrir les pertes en utilisant les coussins de capital et de liquidité prévus pour d’autres usages, puis en reportant d’un an l’application de tout Bâle III – la réforme au grand complet – pour faire bonne mesure.

L’ère des poursuites pour les manipulations financières de toutes natures est révolue, comme si elles avaient brusquement cessé, leurs auteurs s’étant amendés. Oublié les révélations sur le cartel des devises ! cette poignée de cinq grandes banques (*) prises et condamnées à des amendes pour avoir manipulé au détriment de leurs clients les transactions sur le plus vaste marché mondial, celui des changes.

Devant les retraits en masse de capitaux des fonds d’investissement – leur point faible s’ils devaient faire boule de neige – la BCE s’est cependant inquiétée et a demandé le renforcement des pouvoirs de l’Esma, le régulateur européen des services financiers. Afin de la stopper, une suspension généralisée des rachats aurait des répercussions sur les assureurs, les banques et l’ensemble du système financier. Mais rien n’est intervenu.

Ressenti comme un signal précurseur d’autres craquements, un rouage essentiel du refinancement à court terme, les fonds monétaires, a connu un brutal accès de fièvre en mars dernier, que l’intervention massive de la Fed a fait retomber, après s’y être pris à deux fois. Mais la fragilité des fonds monétaires est apparue, la baisse des rendements sur ce marché est susceptible de susciter un exode des investisseurs qui apportent leurs capitaux et de le geler comme cela s’est passé, au point que les opérateurs sur ce marché en sont à renoncer à facturer leurs frais pour inciter leurs clients à ne pas se retirer… Ce qui n’empêchera pas les rendements de continuer à descendre alors que les taux dépassent déjà à peine le zéro. L’intervention de la Fed doit durer jusqu’au 30 septembre, mais elle sera si nécessaire prolongée, pouvant aboutir à un soutien à long terme des fonds monétaires, ce qui représenterait une nouvelle forme d’assistance au système financier, cette fois-ci au sein de son secteur informel pas ou peu régulé.

Dans un autre secteur, la main du régulateur européen tremble au moment d’appliquer les mesures de régulation décidées. L’Esma diffère une nouvelle fois, au dernier moment, une réforme destinée à développer la compétition sur le gigantesque marché des futures – les contrats à terme – ces produits dérivés hautement spéculatifs qui consistent à parier sur les variations d’un actif sous-jacent, comme une action, un cours de matière première, un taux d’intérêt ou un indice boursier. Par mesure de précaution, ces instruments détournés de leur vocation originelle doivent désormais utiliser le service d’une chambre de compensation, lorsqu’ils sont toutefois standardisés. Mais ces chambres représentent désormais un condensé du risque et un facteur de grande fragilité. La réforme avait pour objet de permettre aux investisseurs de choisir leur chambre de compensation sans restriction, mais elle a suscité une levée de boucliers, n’étant pas dans l’intérêt de ceux qui occupent le terrain, et l’on se demande maintenant si elle ne va pas tout simplement être abandonnée…

Enfin, cette liste n’étant qu’un échantillon du plus visible, la fin du confinement a sonné celle de l’interdiction provisoire de la vente à découvert. En Europe, elle avait été décrétée par la France, la Belgique, la Grèce, l’Espagne, l’Italie et l’Autriche, à l’exception notable de l’’Allemagne et du Royaume-Uni. Cette technique spéculative favorite des hedge funds permet de parier à la baisse sur la valeur d’une entreprise en la suscitant par là-même, quitte à aider si besoin la chance pour qu’elle devienne effective. Ceux-ci ont connu des temps difficiles, un coup de pouce n’est pas malvenu.

Chacun chez soi et les cochons seront bien gardées !


(*) Barclays, Citigroup, UBS, RBS, JP Morgan. À elles seules, celles-ci représentaient pas loin de la moitié des transactions au comptant. Une illustration de plus de la concentration des acteurs du monde financier.

5 réponses sur “Ces cadeaux qui entretiennent l’amitié”

  1. Je reprends votre phrase : « Sans parler du taux cadeau des banques centrales qui les arrosent d’abondantes liquidités. »
    Je voudrais ajouter que les banques ne sont arrosées de liquidités qu’à la condition d’apporter des contreparties qui sont des titres souverains ou d’entreprises (bien notées, en général) dont elles veulent se débarrasser en raison du risque de défaut qu’ils encourent.
    Avec toutes ces liquidités elles peuvent alors jouer au casino.
    C’est donc la BCE ou plus précisément les BCN qui supporteront les pertes à l’échéance de ces titres.

      1. Merci de cette précision, mais cela a commencé bien avant le coronivarus. On peut penser que la BCE profite de la pandémie pour dévoiler ce qu’elle ne pouvait cacher plus longtemps.

  2. C’est fascinant, extraordinaire.
    J’avais commencé à comprendre en lisant les livres de P. Jorion.
    Tes chroniques dévoilent ces mécanismes absolument fous de la finance « globale » qui semble désormais incontrôlable et dont le seul objectif encore concevable est d’accroître les fortunes d’une minorité infime de l’Humanité.
    François, je repense à tes chroniques sur Fukushima : déverser de l’eau sans pouvoir s’arrêter… Je ne dois pas être le seul à faire l’analogie avec le déversement de liquidités des banques centrales.
    On devine que seul, un effondrement du château de cartes de la finance spéculative y mettra fin mais cela aura aussi de terribles conséquences pour tout le monde ─ tout comme de rejeter dans le Pacifiques les eaux radioactives et contaminées.
    Y aurait-t-il une solution pour détruire ce système sans un effondrement puisqu’il est comme un sang mauvais dans les artères de notre civilisation démente ?

    En tout cas, je souhaiterais une action qui ne peut probablement pas advenir dans l’état actuel de domination totale : que F. Leclerc vienne un jour à une heure de grande écoute, à des JT ou sur des chaînes info continues, expliquer avec sa pédagogie la réalité profonde de notre société dans son avatar ultime du capitalisme financier.

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