« Nous voulons tous un retour à la normale, mais ce ne sera le cas que lorsque les gens sentiront qu’ils pourront reprendre toutes leurs activités », a déclaré Jerome Powell pour qui la reprise de l’économie américaine va être longue, car les activités ne reprennent que progressivement et le chômage est très élevé en raison de destructions d’emplois qui ne sont pas provisoires. Mais il ne modifie pas ses prévisions de croissance à long terme, sans chercher à comprendre plus avant l’ampleur et les causes du sérieux problème que rencontre l’économie américaine.
L’économie européenne est présentée comme un maillon fragile, mais l’adoption du financement d’un second gigantesque plan de soutien à l’économie japonaise montre qu’elle n’est pas seule dans ce cas. Au total, l’équivalent de près de 2.000 milliards d’euros vont y être dégagés, dont un tiers sous forme de prêts à taux zéro pour les petites et moyennes entreprises pour ce second plan.
Le capitalisme financier n’aurait-il pas trop tiré sur la corde ? Le différentiel de rendement entre l’investissement financier et dans l’économie est en cause. Il n’est pas, comme croit pouvoir le remarquer Jacques de Larosière, un patron historique du FMI, « les conséquences d’une politique monétaire hyper accommodante pendant trop longtemps ». « L’économie tout entière est surendettée », observe-t-il à juste titre, mais il n’en voit pas les causes. De fait, les banques centrales suppléent aux carences du système financier en raison d’une allocation des capitaux orientée vers la spéculation et non pas l’investissement productif.
Il en résulte un chronique manque de fonds propres des entreprises, leurs actionnaires n’étant pas de surcroît motivés à assumer leurs pertes, ce qui met les États dans l’obligation de les soutenir dans l’urgence. Le mécanisme de la socialisation des pertes n’est certes pas une nouveauté, mais il se fait sentir en grand. Ces mêmes entreprises sont très endettées, cela a été suffisamment souligné, et ce sont elles qui font face au fameux « mur de la dette ». Ne nous y trompons pas, leur endettement est antérieur à la pandémie, et il concerne aussi bien les grandes que les petites entreprises. En conséquence, les notations des agences spécialisées plongent et, aux États-Unis, la Fed a commencé à acheter les titres de ces « anges déchus », ce que la BCE n’exclue pas dans l’avenir.
Les banques européennes qui sont en Europe en première ligne dans l’octroi du crédit aux entreprises pourraient en sortir vite ébranlées, par ricochet, en dépit des garanties que les États leur ont prodigué pour l’éviter, tout particulièrement en France. Si elles sont activées, comme le laisse prévoir l’envolée prévisionnelle des défauts, un gros transfert de la dette privée vers la dette publique en résultera. Tous les moyens sont donc bons pour soutenir les entreprises, éviter les faillites et l’explosion du chômage. Plutôt des entreprises « zombies » que des cimetières saturés de cadavres ! Car cela représenterait un obstacle supplémentaire à la relance, au lieu d’un cercle vertueux on entrerait dans un cercle vicieux.
Cela va de futurs reports ou abandons de créances, en totalité ou partiels, des recapitalisations en lieu et place des actionnaires, jusqu’à la prise en charge en France d’une partie de la masse salariale d’un choix d’entreprises, au nom du maintien de l’emploi et sans interférence dans leur gestion…
Roux de Bézieux, le patron du Medef a trouvé la formule : « le gouvernement doit dire aux Français qu’il est temps de retourner travailler et consommer ». En d’autres termes, les entreprises doivent tourner et les salariés apporter leur contribution essentielle à la relance. Sinon, que voudrait dire une relance de l’offre, la demande n’étant pas au rendez-vous ? Mais cela ne réduit pas une grande inconnue. L’épargne forcée est devenue une épargne de précaution, sans que l’on sache dans quelle proportion, Et l’on enregistre des changements de comportement des consommateurs dont on ne connait ni l’ampleur ni la portée.
Allons, tout n’est pas si noir ! Le scénario catastrophe d’une crise simultanée de la dette privée avec la dette publique n’est pas d’actualité. La première a simplement pris le pas sur la seconde, aux bons soins de la politique monétaire des banques centrales, ce bras armé du système qu’elles sauvegardent.
Le taux moyen de la dette publique française est négatif ! Cela ne résulte pas seulement de l’impact des achats de la BCE, mais également de la proportion des émissions de titres à long et à court terme par l’agence France Trésor. Les premières bénéficient d’un taux très faible et celui des secondes est franchement négatif. Mais cette médaille a son revers. Dans l’immédiat, cela contribue à baisser le taux moyen, tandis que cela expose dans l’avenir, lors du roulement des titres à courte maturité, au risque d’une élévation des taux. La clé réside dans le maintien des achats de la BCE et de sa politique de création d’obligations quasi-perpétuelles… Après cela, on dira que tout va redevenir comme avant !
Les bons esprits pourront toujours faire remarquer que les taux négatifs représentent une contribution des investisseurs à l’effort qui est exigé des États, mais le compte n’y est pas, la disproportion est flagrante… D’autant que simultanément, ces mêmes investisseurs s’en donnent à cœur joie via les fonds de placement et les hedge funds qui investissement à tour de bras, avec une forte décote, dans les titres des entreprises asphyxiés – qui ne manquent pas – dont le taux d’emprunt augmente et avec lui le risque de défaut et de faillite. Ils ont en ligne de mire des restructurations de dette très profitables. Le marché de la dette d’occasion est une aubaine pour qui sait s’y prendre et en a fait une spécialité. Quitte à tendre encore un peu plus la corde…