Pour employer un terme qui a trouvé sa place, le capitalisme est-il soutenable ? La charge de la preuve lui revient sans discussion. Mais à défaut de concrétisation garantie, les grands mots sont de sortie : il sera inclusif dans l’avenir et il est en attendant constaté la bonne résilience du système financier aux bons soins des banques centrales. Le vocabulaire mis à part, que peut-il se passer ?
La pandémie a approfondi les inégalités, touchant en priorité les plus démunis. Et le bouclier social est menacé de rétrécir à terme, tandis que les salaires vont être soumis au chantage du maintien de l’emploi. La relance de la consommation retient la main des autorités, pour combien de temps ?
Et l’inclusif dans tout cela ? Il trouverait son illustration dans une reconfiguration de la mondialisation, dont on peut douter. Elle sera certes plus fragmentée, guerres commerciales obligent, mais modifiera-t-elle la division internationale du travail, l’éclatement de la production et la gestion à flux tendu ?
La renégociation d’ensemble de la dette, privée et publique dont les plus audacieux parlent est-elle envisageable ? Plutôt que de l’entreprendre, c’est sur les taux que la pression des banques centrales continuera de préférence à s’exercer. Alliée au rallongement de la maturité moyenne de la dette, elle permettra de la rouler, qu’elle soit publique ou des entreprises, telle une variante d’une dette perpétuelle qui ne dira pas son nom afin que les apparences soient sauves.
Que reste-t-il à se mettre sous la dent, dans ces conditions ? Ici les transports publics deviennent gratuits ou à prix modique, là des circuits courts du producteur au consommateur apparaissent, des coopératives naissent, autant de modestes projections dans un autre monde. Des échelles de valeur basculent, des métiers faiblement rémunérés se sont révélés essentiels au plus fort de la pandémie. Elle a été aussi l’occasion pour certains maires d’accorder la gratuité des repas de midi aux écoliers, ou de susciter un élan spectaculaire de bénévolat afin de produire des masques et des blouses de protection pour les soignants. Mais que va-t-il en rester sinon le souvenir et la satisfaction d’avoir collectivement agit pour remédier à la défaillance de l’État ?
Des sursauts sont également enregistrés, comme l’instauration par le gouvernement socialiste espagnol d’un « revenu minimum vital » destiné à sortir de l’extrême pauvreté 850.000 familles, alors que 3,4 millions d’espagnols sont soutenus par le financement public du chômage partiel. Des aides sont dégagées pour parer au plus pressé et au plus dramatique, mais elles n’atteignent pas les travailleurs marginalisés de l’informalité. Tout cela souligne à la fois l’étendue du désastre social et les limites de la réponse apportée.
Le système financier est parasitaire. Tant qu’il n’y sera pas remédié, le capitalisme ne se réformera qu’à la marge, emporté par son élan. Une tribune dans Les Échos du président de l’Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), un think tank néolibéral européen, mérite à cet égard d’être longuement citée : « Il faut encourager ceux qui s’investissent dans leur travail et il n’y a pas de logique, sinon celle de la haine ou de la jalousie, à vouloir lester les riches et délester les heures supplémentaires. Notre plus grande richesse ce sont les hommes, pour autant qu’on ne les démobilise pas en punissant par l’impôt ou par l’opprobre ceux qui s’engagent, risquent, créent de la valeur et de l’emploi, qui remontent leurs manches plutôt que de tendre la main. Réduire les impôts de tous serait un signal de confiance et d’avenir pour relancer l’économie mieux qu’en la ponctionnant toujours plus ou en la soutenant artificiellement d’aides et de subventions. » Cela ne s’invente pas, des spéculateurs financiers aux manches retroussées !
Le système capitaliste doit s’attendre à être jugé sur sa capacité à réduire les émissions des gaz à effet de serre. Aucun mot ne saura faire obstacle à ses conséquences désastreuses.