Les interrogations vont bon train depuis l’annonce par Ursula von der Leyen du plan de la Commission, dans l’attente des décisions des chefs d’État et de gouvernement. Quels montants seront finalement retenus pour le partage des subventions et des prêts, comment seront-ils répartis entre pays et selon quelles modalités et conditions seront-ils attribués ? Vaste programme de négociation auquel il manque un volet qui n’est pas moins essentiel au dispositif.
On connait les secteurs qui ont le plus souffert des effets de la pandémie et du confinement, le transport et le pétrole figurant en tête de liste. Les banques, qui font déjà l’objet d’attentions réglementaires, vont monter en première ligne en raison de l’ampleur attendue des défauts de remboursement allant résulter d’une récession qui s’approfondit et dont on ne connait pas la durée.
L’émission par la Commission de plusieurs centaines de milliers de milliards d’euros d’obligations ayant la garantie conjointe de l’ensemble des pays européens est de ce point de vue un véritable don du ciel. L’occasion va être offerte aux banques de conforter leurs fonds propres en gagnant de l’argent, d’autant que la création d’une bad bank qui leur aurait permis de se délester de leurs crédits douteux ne semble pas devoir aboutir. Ces derniers temps, les investisseurs n’ont pas boudé leur plaisir lors des émissions nationales de dettes lancées sur le marché, et tout y est passé lors des syndications, la dette italienne, espagnole et française, leur offre dépassant largement la demande. Demain, l’apparition d’obligations communautaires va conforter cette ruée, car les investisseurs savent que la BCE achètera leurs titres et ne leur laissera pas sur les bras si besoin. Dans son malheur, ce monde est parfois bien fait.
La BCE a déjà fait ce qu’il fallait en rendant éligible au titre de collatéral la dette d’entreprise de moindre qualité et pourrait aller facilement au-delà du mois de septembre prochain date limite d’assouplissement de ses règles. Mais, entre elle et la Commission, les grands esprits se rencontrent. Il est maintenant confirmé que la BCE ne va pas se plier aux injonctions du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, ce qui va mettre la Bundesbank, si le Tribunal ne se prête pas à un arrangement improbable, dans la position inconfortable de devoir choisir la loi qu’elle va violer, Européenne ou Allemande ! Et, s’il était choisi de se ranger à cette dernière, la BCE serait fondée à poursuivre la Bundesbank devant la Cour européenne de justice (ECJ) en vertu de l’article 35 du protocole d’accord de l’Eurosystème…
Une manière de contourner la difficulté est recherchée pour ne pas en arriver à cette extrémité. Les autres banques centrales membres de l’Eurosystème pourraient se substituer à la Bundesbank pour acheter ses parts de titres souverains, est-il étudié. Pour être plus précis, cela pourrait correspondre à sa contribution au roulement des 2.200 milliards d’euros de titres qui sont au bilan de la BCE et ne font pas partie du nouveau programme PEPP en cours ayant les grâces des juges de Karlsruhe. Et rien selon ce schéma n’empêcherait la Bundesbank d’acheter en contrepartie les nouvelles obligations émises par la Commission. Nous y voilà, la boucle est bouclée, la rupture ne serait pas consommée !
La clé de répartition des subventions et des prêts de la Commission est chose déterminante, mais la répartition des achats des banques européennes n’en est pas moins importante, cette face cachée du compromis dont la négociation a commencé.
Un commentaire..?.. en lien avec l’article-frère :
https://www.lecho.be/opinions/carte-blanche/l-allemagne-a-la-hauteur-des-esperances-de-keynes-enfin/10230319