La hantise du rebond de l’épidémie accompagne la relance du travail. En France, la ministre du Travail Muriel Pénicaud fait pression en annonçant que le dispositif de prise en charge du chômage partiel, qui concerne 12 millions de salariés, va être réduit. Ce mélange de craintes et d’obligations domine l’actualité et occulte les mutations en cours qui affectent non seulement la vie courante mais également le système économico-financier, bien que de manière moins évidente.
Par la force des circonstances, ses acteurs ont instauré des dispositions financières provisoires, mais vont-ils s’y installer ? Après avoir timidement pénétré dans des « territoires inconnus », ils ont « suspendu » des dispositions hier intangibles, animés par l’instinct de conservation. Les milliers de milliards volent, en garanties, crédits, subventions et au final en dettes. Cet argent que l’on ne trouvait pas coule à flots quand le système est menacé de déstabilisation afin d’écourter à tout prix ce mauvais moment à passer. Pour la suite, demain sera un autre jour ! Alors les nationalisations ne sont que partielles et temporaires quand elles se révèlent inévitables et les droits de vote sont abandonnés. Et, autre exemple, l’encadrement des ventes à découvert, n’est que provisoire, à défaut de leur interdiction. Et tutti quanti !
Simultanément, on se rassure en prévoyant que le trou d’air actuel ne va pas durer en alignant des prévisions incalculables au vu des incertitudes. Il est prédit ici que l’inflation va décoller et imposer à nouveau ses contraintes, et là que le loyer de l’argent et la rente vont remonter ! Rivés à leurs certitudes, les plus naïfs prédisent le retour à l’ordre, tandis que les réalistes en préparent un nouveau.
Les banques centrales assistent le système et la question est posée : ce nouveau mode va-t-il ou non être réversible ? Qu’importe la taille de leurs bilans, comprend-on, d’autant que l’on ne sait pas le dégonfler sans dommages inacceptables ! Qu’importe les pertes qu’elles vont encourir, puisqu’il n’est pas besoin de les recapitaliser comme une vulgaire banque, ainsi que la Banque des règlements internationaux l’a doctement fait savoir ! Comment, alors, abandonner une monétisation des déficits qui ne dit pas son nom et qui pourrait se poursuivre si le poids du service de la dette devenait trop important, une vraie soupape de sécurité ?
Les discussions académiques partent dans tous les sens et des juges s’en mêlent. Ils s’arrogent le droit de délimiter la frontière entre les politiques monétaire et budgétaire, cette vieille lubie doctrinale sur laquelle est fondée le principe de l’indépendance des banques centrales. De ce fait, ils renvoient les autorités politiques à leurs responsabilités… et à leurs divisions. Car, si la BCE devait mettre de l’eau dans son vin, une compensation serait nécessaire sous la forme d’une réponse budgétaire. Un coup d’arrêt, même amorti, imposera alors la révision des règles de déficit et d’endettement, et non plus leur suspension, une remise en cause qui ne pourra se faire que par la bande. La Commission en viendra-t-elle, par exemple, à émettre des obligations à très long terme ?
Les gouverneurs de la BCE ont dernièrement défait ce qu’ils avaient précédemment institué. Ils ont baissé la barre de la garantie de leurs prêts, au risque de pertes futures, et élargi le champ et le volume des dettes qu’ils acquièrent, leur caractère privé ou public important peu. Se voulant de bons conseils, certains ont suggéré de revoir à la hausse le taux d’objectif de l’inflation qu’ils ont eux-mêmes décrétés, afin de donner une assise supplémentaire à leurs achats obligataires. L’adoption d’un taux négatif, qui a fait tant gloser, n’était qu’une entrée en matière pour d’autres qui prônent sa généralisation. Tout cela en vain ? En d’autres termes, le système pourrait-il vivre sans attelle ?
Les nouveautés ne s’arrêtent pas là. « Le marché », qui n’est pas prêt à se dégonfler, a non seulement gagné en volume et puissance, le manifestant en déplaçant sans préavis des masses grandissantes de capitaux, au gré des intérêts immédiats des investisseurs. Mais sa configuration a également évoluée avec de colossaux fonds d’investissement qui ont pris le pas sur les mégabanques. Ils disposent d’une expertise reconnue sur les marchés et sont devenus des actionnaires importants des compagnies transnationales. Le système se concentre et se renforce. Forts de leur pouvoir, ces fonds empiètent sur celui des États. À « l’indépendance » des banques centrales correspond leur discrétion, le nouveau monde ne s’affiche pas, il se dérobe pour agir de connivence.
Ces deux traits n’épuisent pas la description de la mutation qui se poursuit, mais ils l’ordonnent.
Oui, je crois que c’est cela, vous le dites sans détour mais en prenant une infinité de précautions, en y mettant beaucoup de soin tel un médecin de famille en visite…
… »il va falloir nous y habituer et apprendre à vivre avec ce drôle de virus qu’est la finance ».