Le grand désordre n’est pas prêt de se terminer. Des certitudes sont déjà ébranlées, et cela ne va pas s’arrêter là par la force des choses. La vie sociale et économique ne va pas recommencer comme avant, des remises en question sont inévitables, la parenthèse ne va pas être facilement refermée.
En attendant, l’allégement progressif des contraintes du confinement et la reprise de l’enseignement et du travail n’est qu’un pis-aller et il va falloir vivre avec le virus en attendant de pouvoir se guérir ou se prémunir de ses effets. La menace d’un rebond de la pandémie subsistera tant qu’une vaccination massive ne sera pas intervenue. L’exception va s’installer.
Le FMI et l’OMC ont en commun exhorté vendredi les gouvernements « à s’abstenir d’imposer ou d’intensifier les restrictions à l’exportation » pour éviter que l’économie mondiale ne plonge dans la récession, ainsi qu’à « œuvrer pour supprimer rapidement celles qui ont été mises en place depuis le début de l’année », sur des produits comme les médicaments. Mais le ministre de la Santé les justifie en les qualifiant de « mesures d’exception ». Combien de temps vont-elles durer ? quels délais seront nécessaires afin de « relocaliser » leur production ? pris dans une contradiction, le ministre ne s’épanche pas sur le sujet.
Des mesures inadmissibles interviennent également. Au prétexte de soulager des petits enfers familiaux que peuvent supporter ceux qui vivent entassés, ainsi que de permettre aux parents de retourner au travail, on rouvre les écoles en transférant sur les maires la responsabilité morale et pénale de leurs décisions. On accorde en priorité des subsides par milliards à un fleuron privatisé et faussement qualifié de « national » du transport aérien, Air France ayant fusionné avec KLM. Le ministre Bruno Le Maire annonce que la compagnie aérienne deviendra la plus respectueuse de l’environnement de la planète, en ajoutant « nous avons fixé des conditions de rentabilité et écologiques à la compagnie, qui doit notamment être moins pollueuse » comme de la vulgaire poudre aux yeux. Et ce n’est que l’exemple le plus flagrant.
Cela ne s’arrête pas là. Le marché du pétrole est très durement atteint et la tentative de stopper la chute des cours en diminuant la production a fait long feu devant l’ampleur de la baisse de plus d’un tiers de la consommation. Comme l’éditorial du journal Le Monde le remarque « la crise actuelle met fin à une chimère, qui consistait à faire coexister un système concurrentiel féroce – le pétrole de schiste américain – avec une logique de cartel et d’oligopole – l’alliance OPEP + ». Cela « risque de déboucher sur une instabilité politique et sociale aux conséquences imprévisibles » dans les pays les plus pauvres.
Il aurait aussi pu être ajouté que le pétrole est devenu un produit financier, et que la dimension de son marché physique est très inférieure à celle de son marché financier. Quand on décortique les raisons du cours négatif qui est intervenu sur le marché du WTI, l’une des références, le manque de disponibilité de capacités de stockage s’efface devant les mécanismes qui ont animé celui hautement spéculatif des « futures » (les ventes à terme). Ce qui n’a rien à voir avec la confrontation de l’offre et de la demande ! Mais il n’en reste pas moins que revenir aux capacités d’extraction antérieures sera contradictoire avec l’objectif de réduction des gaz à effet de serre, c’est pourtant le but affiché.
Dans un tout autre domaine, des inquiétudes se manifestent à propos de l’application téléphonique dénommée StopCovid, la Commission européenne prétendant encadrer ce type d’initiative. Le traçage numérique, on sait comment cela commence, on ne sait jamais comment cela fini ! La menace latente de l’instauration d’une société de surveillance n’est plus réservée à ceux qui l’ont depuis longtemps dénoncée. L’accumulation des données, même anonymes, peut permettre beaucoup de choses malveillantes, une fois croisées avec d’autres données et traitées avec de puissants algorithmes comme l’épisode de Cambridge Analytica l’a démontré. L’implication des deux GAFA, Google et Amazon, alimente les craintes étant donné leur gigantisme incontrôlé, tout comme les dispositifs instaurés dans certains pays qui ne sont pas des régimes dictatoriaux comme la Corée du Sud et Israël, si l’on évacue le cas de la Chine et de la Russie.
La croisée des chemins, l’image trouve une illustration à grande échelle.
Excellente analyse.
« Trouvez simplement ce qu’un peuple est prêt à subir en silence, cela vous donnera la mesure exacte de l’injustice et du mal qui lui seront imposés, et cela continuera jusqu’à ce que se manifeste une résistance par les mots ou la violence, ou les deux. Les limites des tyrans sont fixées par l’endurance de ceux qu’ils oppressent. »
Frederick Augustus Washington Bailey, ou Frederick Douglass (1818-1895)
On pourrait croire que cet article du jour a été écrit par un certain… François Leclerc… ^!^… :
https://www.lalibre.be/economie/entreprises-startup/le-gouvernement-ne-peut-pas-intervenir-seul-pour-sauver-brussels-airlines-5ea8570f9978e21833f7a8c5