Les dirigeants allemands ne veulent pas endosser le rôle du méchant, après l’avoir laissé à leurs partenaires hollandais lors du dernier Eurogroupe. Afin de ménager l’avenir et de protéger les intérêts du pays tels qu’ils les conçoivent, Angela Merkel ouvre le débat du sommet de jeudi avec un programme minimum dont elle va faire son optimum.
Au prétexte de l’urgence à intervenir, la chancelière repousse l’émission d’euro-obligations et propose d’actionner les dispositions prévues à l’article 122 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Celui-ci prévoit que lorsqu’un État est frappé par des « circonstances exceptionnelles (…) le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une aide financière de l’Union à l’État membre concerné. » Mais rien n’est dit concernant les montants, les modes de financement et les conditions en question. Chacun va donc défendre sa propre interprétation.
Angela Merkel va pour sa part pouvoir défendre une vision minorisant le risque financier de l’Allemagne. En faisant état des 500 milliards du plan déjà adopté par l’Eurogroupe, que le sommet doit avaliser, et qu’il ne s’agirait que de compléter avec parcimonie. Ainsi qu’en acceptant la proposition de la Commission d’aller emprunter sur les marchés pour financer ces aides exceptionnelles, car l’Allemagne n’en sera comptable qu’au prorata de sa participation à son budget, tandis que les euro-obligations pourraient être assortis d’autres dispositions.
De fait, si elle était écoutée, les États qui seront aidés garantiront les sommes qui seront octroyés, au prorata de cette même participation. La proposition d’Angela Merkel a également l’avantage d’écarter la proposition du gouvernement espagnol, qui est tout autant coincé budgétairement que son homologue italien. Le Premier ministre Pedro Sánchez a appelé à l’émission d’obligations perpétuelles pour un montant de 1.000 à 1.500 milliards d’euros dans le cadre d’un programme de deux à trois ans. L’argent serait distribué sous forme de subventions – et non de prêts à rembourser – le tout étant financé par une taxe sur l’émission de carbone, un impôt sur le marché unique et le « seigneuriage » de la BCE (*).
George Soros est venu grossir les rangs des partisans de l’émission d’obligations perpétuelles, qui s’étoffent. Celles-ci auraient non seulement l’avantage évident de ne pas avoir à être remboursées, fait-il valoir, mais aussi que le paiement de leurs intérêts serait soutenable. Afin que le marché souscrive à une énorme émission, celle-ci pourrait être étalée par tranches dans le temps. Et, cerise sur le gâteau, ces titres seraient du pain béni pour les achats de titres de la BCE… George Soros conclu sa démonstration en faisant remarquer que ce type de financement est « le moyen le plus simple, le plus rapide et le moins coûteux à établir. »
Ursula von der Leyen tente au nom de la Commission de dégager les termes d’un compromis qui va être très difficile à trouver, car il réanime de profondes divisions sur le montant du budget pluri-annuel de la Commission. Il faudra trouver les mots derrière lesquels chacun s’abritera pour défendre sa conception, en attendant d’évacuer tôt ou tard le diable qui est toujours dans les détails quand il faudra passer à l’acte. Mais même ce compromis boiteux ne pourra sans doute pas être atteint jeudi prochain, au dire de ceux qui sont au parfum.
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(*) Le seigneuriage est calculé en fonction des émissions de monnaie d’une banque centrale, moins ses coûts de fabrication, de mise en circulation et de remplacement des espèces usagées. S’y ajoutent les intérêts provenant du refinancement du système bancaire par ses soins.
François Leclerc intitule son article « Décidément ils ne nous étonneront jamais », mais n’aurait-il pas fallu écrire « Décidément ils ne nous surprendront jamais » ?
Tournons-nous vers le Pape de l’orthographe, l’Ayatollah de la syntaxe, le Jupiter de la grammaire, j’ai nommé Émile Littré, pour connaitre la bonne réponse.
L’anecdote est trop belle pour être vraie ? Peut-être. En tout cas est-elle savoureuse et fonctionne-t-elle du feu de Dieu comme moyen mnémotechnique. La voici :
Comme beaucoup de bourgeois de son époque, certes pétris de morale catholique mais tout de même soucieux de maintenir leur rang, le brave Émile aimait à lutiner les soubrettes (charge aux gueuses de se débrouiller ensuite avec une aiguille à tricoter en cas d’accident). Or donc, ce qui devait arriver arriva et un jour Mme Littré rentra chez elle un peu plus tôt que prévu, ouvrit la porte de la chambre et… trouva son époux en pleine séance de galipettes dans le lit conjugal avec la bonne !
– Ah ça Monsieur, je suis fort surprise ! s’exclama-t-elle,
Et là, superbe (mais nu comme un ver), Émile lui répondit :
– Non Madame c’est nous qui sommes surpris, vous, vous êtes étonnée.
Il fallait donc bien écrire « Décidément ils ne nous étonneront jamais ».
PS : j’m’excuse hein, c’est le confinement, je commence à mordre les murs…
Je lève mon haut de forme à Madame, non pas pour le choix de sa bonne mais pour sa « bonne éducation » qui bien que « surprise » à tort selon son Emile exprime une déconvenue des plus mesurée en tout point conforme à ce que l’on pouvait en attendre.
Mais quel joli intermède.
Le confinement a du très bon, dans ce cas.
Bravo !
))
Blague à part, la proposition de G Soros sur l’émission d’obligations perpétuelles … une double injonctions qui annule une impossible nécessité semble un bon antidote pour sortir de cette partie d’échecs.
Non en effet ils ne nous étonneront probablement jamais.
Le drame c’est que dans la dispute entre Sud et Nord, entre « Germaniques » et « Latins », « cigales » et « fourmis »… en fait tout le monde a raison !
– L’Allemagne comme les Pays-Bas et les autres mettent en avant la démocratie et le droit du Parlement à décider des dépenses faites sur le compte des citoyens, ce qui serait impossible dans le cas de dettes contractées en commun pour lequel chaque pays est donc solidairement responsable sans que son parlement n’ait pu les contrôler. La Cour Constitutionnelle allemande à Karlsruhe avait jugé il y a quelques années qu’un endettement solidaire est incompatible avec la constitution du pays. Il faut rappeler que la faculté des parlements à contrôler les dépenses de l’Etat a été historiquement l’un des points de départ principaux de l’aspiration démocratique « No taxation without representation »
– L’Italie comme l’Espagne, et de plus en plus la France, mettent en avant la nécessité en régime de monnaie unique qu’une partie significative des dépenses soient réalisées à l’échelle de la zone monétaire unifiée, faute de quoi les différences entre économies mèneront à l’affaiblissement des plus faibles et au renforcement des plus fortes – comme depuis la mise en place de l’euro – et les chocs économiques seront encore plus difficiles à gérer du point de vue des plus faibles. C’était déjà vrai lors de la crise bancaire du début des années 2010, ça l’est encore davantage avec le coronavirus – les prévisions de décroissance dans le rapport de Unicredit sur « la mère de toutes les récessions » sont de -13% pour la zone euro, c’est-à-dire du niveau d’une dépression économique
Des versions dégradées, démagogiques et fausses de ces arguments existent (« Les Latins c’est la mafia et le Club Med ! » / « Les Allemands essaient encore de dominer l’Europe ! »), mais les version originelles ont chacune leur validité.
Comment est-il possible que des gens s’opposent, se disputent, voire même se déchirent, alors qu’ils ont tous raison ?
C’est assez simple en fait : le problème ce n’est ni les Sudistes ni les Nordistes. Le problème c’est que des pays aux économies différentes, aux besoins distincts voire trop souvent contradictoires… appartiennent tous à la même zone monétaire.
Sur cette histoire d’être surpris en charmante compagnie extraconjugale : » eh plutôt que rouspéter, tu ferais mieux de regarder comment je fais ! »
Maintenant plus généralement sur ces histoires de cocufiage : mais pourquoi voulez vous que le Nord bouge le petit doigt pour le Sud ?
L’Allemagne a lâché beaucoup d’argent en Pologne, et la Pologne aujourdhui roule pour Trump !
Les laudateurs de l’Europe mettent la charrue avant les bœufs, ils font comme ci l’Europe était une réalité politique, alors qu’il ne s’agit depuis le début que d’une mystification.
La domination bourgeoise s’est constituée historiquement dans un cadre national, cadre qu’elle ne pourra jamais dépasser.
A carême sonnant chacun reprend sa poêle.
Les français , pour ne parler que d’eux, sont libres de mener la politique de leur choix… à leur frais.
On nous dit que personne ne veut entendre parler d’impôts, en clair in fine tout le monde reconnais qu’il est libéral.
A titre posthume, une très grande victoire idéologique des Reagan et Thatcher.
Nous n’en sommes qu’au début, on a pas fini de rire !