Le mot rebond fait fureur ce matin, mais il serait plus sage de s’en tenir à la minorisation des pertes pour rendre compte de la situation des Bourses et du marché pétrolier. Après un « lundi noir », les investisseurs reprennent leur souffle ce mardi, impressionnés par la visite symbolique du président chinois à Wuhan et les déclarations de matamore de Donald Trump. À l’image de la fébrilité des marchés, leur opinion est versatile.
En Europe, le ministre des Finances Bruno Le Maire profite de l’occasion pour réclamer une fois de plus l’adoption d’un plan de relance européen « massif et coordonné » et annoncer que les objectifs français de déficit ne seront pas tenus cette année. Ce qui fait pour le moins contraste avec le débat embryonnaire allemand qui se contente de porter sur le respect du dogme du déficit zéro.
Ce nouvel épisode aigu de la crise chronique a des conséquences financières, mais il ne nait pas cette fois-ci au sein du système financier. Il a des origines économiques et politiques et emprunte donc le chemin inverse du précédent, ayant pour origine la désorganisation des chaînes d’approvisionnement de la mondialisation, la rupture des accords pétroliers entre l’Arabie saoudite et la Russie ainsi que l’inadéquation avec la réponse qui se cherche des instruments monétaires des banques centrales.
Il a été à tort fait trop confiance aux banques centrales pour relancer l’économie et le résultat est là : le Japon, l’Allemagne et l’Italie sont au bord de la récession et d’autres pays comme la France pourraient les suivre. Un signal sans équivoque a été donné par la réaction négative des marchés à la dernière baisse du taux directeur de la Fed. Mais cela suppose de réaliser une volte-face en Europe où, après avoir longtemps identifié l’inflation comme étant l’ennemi public n°1, il lui a été substitué l’endettement public. Tout en alimentant la dette privée par le biais d’injections monétaires destinées à stabiliser le système bancaire mais favorisant la spéculation.
Poursuivre l’endettement des États ne serait pas sans avoir deux conséquences, qu’il faudrait alors assumer. En réduisant la dette par un autre moyen que la disette budgétaire – en procédant à des remises de peine ciblées qui dégonfleront la baudruche des actifs financiers – tout en réorientant l’allocation du capital afin qu’il soutienne une économie dédiée au bien-être. Ce n’est pas un petit programme, mais un vrai changement de pied !
Dans l’immédiat, deux nouvelles crises de la dette publique ont éclaté au Liban et en Argentine, avec dans ce dernier cas comme principal débiteur le FMI pris au piège d’un soutien qualifié d’abusif dans le monde bancaire. Par quels mécanismes vont-elles être réglées ? Va-t-on assister à un simulacre, comme pour le sauvetage des banques en Europe qui ne devait plus mettre à contribution les finances publiques, comme cela a été pourtant le cas en Italie ? Et comment le FMI et les États dont il est l’émanation vont-ils pouvoir éviter d’en faire les frais ?
Le capitalisme financier vit des moments difficiles. Il est entrainé dans une logique qui repose sur l’intervention permanente des banques centrales aboutissant à la croissance non pas de l’économie mais du système financier. Il en résulte une masse d’actifs financiers, véritable mère des bulles financières. À la concentration extrême de la richesse dans les mains des spéculateurs correspond un accroissement des inégalités, lui-même porteur de fortes tensions sociales et de dangereux soubresauts politiques.
La dépendance à cette bulle d’actifs est désormais irréversible et l’ingénierie financière la clé de la survie du système. La longue séquence de croissance économique américaine, qui fait encore exception, repose sur une montagne de dettes, la détérioration de la qualité du crédit ainsi que des faibles taux d’intérêt et une appréciation intenable du prix des actifs. Qui dit mieux ?
Les banques centrales sont désormais placées devant un choix, poursuivre dans la voie qu’elles ont engagées, et accentuer cette tendance délétère, ou passer la main aux gouvernements, ce qui impliquerait de couper dans le stock actuel de la dette pour qu’elle reste soutenable. Les économistes parlent de « policy mix » quand leurs actions sont conjuguées de manière optimale, ce dont les dirigeants européens se sont révélés incapables. Qu’ils le décident collectivement maintenant serait pour eux un déchirement fort peu vraisemblable. Reste la poursuite du délitement.