Dans la palette déjà bien étoffée des risques financiers, un petit nouveau est arrivé, pudiquement appelé « risque climatique » sans plus de précision. Ce qui a incité le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau à annoncer, dans La Tribune, la tenue cette année d’un nouveau type de test de résistance : « le risque climatique est au cœur de notre métier de superviseur et nous devons développer les technologies pour aider les banques et les compagnies d’assurance à mieux le mesurer. » Que nous vaut donc cette nouvelle préoccupation ?
La question semble d’importance, car le gouverneur en vient à la clé de voute que représente le collatéral pour le système financier. « Nous devons désormais analyser aussi le risque climatique de ces titres », précise-t-il, craignant à terme un choc « stagflationniste » (addition de la stagnation et de l’inflation). La voie périlleuse d’une évaluation du risque à long terme est empruntée et l’on attend avec un grand intérêt la publication de la méthodologie de ce nouveau bilan de santé, si nous y avons droit…
En quoi consiste donc ce risque climatique, dont la nature n’est pas explicitée ? Il provient de l’inévitable dévalorisation des « actifs carbonés » qui va résulter de la baisse prévisible de leur rendement et de leur vente qui suivra. Or, ceux-ci sont nichés partout, puisque ce sont non seulement les actions et obligations des entreprises émettrices de CO2, mais également tous les produits dérivés dont c’est le sous-jacent (cas le plus évident : les compagnies pétrolières). Et l’on sait, pour l’avoir entendu maintes fois dénoncé par les grandes organisations internationales, que l’endettement des entreprises n’arrête pas de gonfler.
En germe, la dévalorisation des actifs carbonés représente donc le risque d’une déstabilisation de l’échafaudage du système financier, il faut donc l’anticiper pour la maitriser. C’est là qu’interviennent les banques centrales, qui s’y préparent. Un « Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier » (NGFS), a été constitué à ce propos. Il a dépassé la cinquantaine de participants, et le gouverneur précise que le président de la Fed américaine n’exclurait pas de le rejoindre. À voir.
Pour sa part, la BCE étudie comment jouer sa partie en vue d’épauler le projet de financement de la « transition énergétique » de la Commission européenne, pharaonique mais insuffisant au regard de ses propres estimations des besoins. 1.000 milliards d’euros sur dix ans sont en effet lancés en pâture, impliquant une participation massive des investisseurs privés.
Elle dispose de deux cordes à son arc, l’achat d’obligations « vertes » et le soutien des cours des obligations « marrons ». Ce qui implique l’adoption d’une politique ad hoc dans les deux cas. Ses opérations d’achats de titres vont donc continuer, désormais pour la bonne cause environnementale. Elle ne va pas se délester des titres « marrons » qu’elle détient en quantité, soutenant ainsi la dette privée après la dette publique. La BCE va donc être appelée à intervenir pour une longue période sur le marché de la dette, donnant raison à ceux qui proposaient selon différentes variantes une intervention monétaire novatrice.
Une inflexion de l’attitude des autorités allemandes à ce sujet est d’ailleurs perceptible, le gouverneur de la Bundesbank Jens Weidmann se tenant coi alors qu’Isabel Schnabel, nouvellement membre du conseil des gouverneurs de la BCE, fait entendre dans la presse allemande un son de cloche plus accommodant.
Chaque médaille ayant son revers, le bilan de la BCE va continuer à gonfler et comme la Banque des règlements internationaux (BRI) l’a envisagé, elle va être amenée à assumer les pertes résultant de la dévalorisation des « actifs carbonés » qu’elle détient. Peut-être même continuera-t-elle à en acheter discrètement – notamment dans des secteurs en première ligne comme l’industrie automobile – en opérant à ses dépens un transfert des pertes des investisseurs privés.
Il va falloir faire preuve d’un incontestable talent, tant pour des raisons politiques qu’à cause des difficultés intrinsèques de l’exercice. Ce n’est pas pour rien qu’il est envisagé une longue transition destinée à ne pas brusquer les évènements… et les investisseurs.
Il y a du donnant-donnant dans l’air : « vous financez le plan de la Commission en sélectionnant les investissements profitables, et la BCE couvre vos pertes en contrepartie ! » Mais ne cherchez pas une délibération officielle et n’attendez pas de débat public à ce propos, puisque l’on vous dit que c’est dans sa mission, en toute indépendance !