L’équation financière est ainsi faite qu’il est bien souvent plus aisé de chiffrer les besoins de financement que d’y répondre. Illustrant cette fâcheuse constatation, les dirigeants européens vont devoir à la fois boucler leur budget pluri-annuel et dégager le financement des investissements des programmes de transition écologique et technologique. Mais comment y parvenir sans toucher à des contraintes budgétaires qu’ils ont mis moins de temps à adopter qu’ils vont en mettre pour les retoucher ?
L’heure est donc à la réflexion. Au terme d’une revue de sa politique qui a devancé celle qu’entame la BCE, la Commission qui est aux premières loges engage une consultation tout azimut. Comment déboucher l’horizon quand dégager des ressources budgétaires se heurte à un solide verrou politique et que la BCE a épuisé ses munitions ?
Celle-ci, dont la crédibilité finira par être atteinte par manque de résultat sur l’inflation, va faute de mieux occuper le terrain avec sa propre consultation. Mais il n’en est pas attendu beaucoup plus que de celle de la Commission. À tort, estime l’auguste professeur à Harvard Kenneth Rogoff qui persiste à voir des sauveurs dans ces banques centrales « qui constituent probablement la plus formidable invention de l’histoire dans le domaine de la macroéconomie ». Le démon du monétarisme n’est jamais loin.
Dans leur version moderne, il leur a été accordé l’indépendance par des pouvoirs politiques qui, dans un accès de lucidité, se seraient reconnus irresponsables. Une histoire invraisemblable. Cette indépendance trouverait aujourd’hui une raison d’être supplémentaire, les banques centrales étant seules capables d’adopter la vision à long terme dont les gouvernements sont incapables. Selon Kenneth Rogoff, ne pas profiter d’une telle répartition des tâches entre eux serait « une conception naïve », car empêchant de jouer sur les deux tableaux, si l’on comprend bien. La solution idéale ne consisterait pas à « écarter la politique monétaire, mais à trouver les moyens de renforcer son efficacité dans un environnement de faibles taux d’intérêt en parvenant à utiliser les taux négatifs de manière plus juste et plus efficace ». La conclusion de la leçon déçoit ! À croire que si les tentations d’opérer des transgressions se renforcent, le pas se révèle difficile à franchir.
Christine Lagarde pointe le bout de son nez en affirmant que la lutte contre le réchauffement climatique « sera une dimension importante de notre revue stratégique » et qu’il va falloir mieux comprendre son incidence sur la politique monétaire. On attend la suite.
En dépit des critiques qui leur sont adressées, les banques centrales conservent une incontestable aura dans l’opinion publique qui peut les inciter à l’innovation, vont-elles en profiter ? Un sondage effectué dans treize pays par un honorable think tank, l’Official Monetary and Financial Institutions Forum révèle la manifestation d’une défiance globale des sondés envers les projets de monnaie numérique privée, qui voient d’un œil plus confiant les projets des banques centrales dans ce même domaine. C’est particulièrement le cas en Allemagne, en France, au Royaume Uni, au Japon et au Canada, mais moins aux États-Unis en raison d’une appréciation moins favorable de la Fed.
Mais le temps est compté et les réactions ne sont pas à la hauteur des enjeux et pas seulement de celui que représente le dérèglement climatique. Le secteur de la finance en pleine période d’expansion des fonds d’investissement est en effet non régulé. Le total de leurs bilans a très largement dépassé celui des mégabanques, et une poignée d’entre eux gère désormais environ 40% de la totalité des actifs financiers. Le système financier est décidément le domaine d’élection du gigantisme.
Les dirigeants des fonds, qui préfèrent la dénomination de « gestionnaires d’actifs » afin de ne pas être assimilés aux fonds de couverture (hedge funds), prétendent que leur activité est sans risque, mais comment pourraient-ils rembourser leurs clients si ceux-ci le demandaient massivement, la liquidité relative de leurs actifs ne leur permettant pas de dégager dans les délais requis les ressources nécessaires ? Ces mégafonds sont l’expression même du risque systémique, et les dirigeants américains font obstacle à leur régulation, tout comme ils s’opposent à la taxation des GAFA sous la bannière « America First ».